L’architecture faubourienne de la Goutte d’Or sauvée par le GIEC
- Comment le 39 rue Myrha ne peut plus sérieusement être démoli.
- Comment les petites maisons de la rue Cavé sont assurées de rester petites.
Au moment où les élus de Paris préparent l’après-24 avril, il n’est pas inutile de poser quelques jalons sûrs fondés sur la pierre, la loi et la parole.
Cavé Goutte d’Or a fait récemment la démonstration juridique de l’impossibilité de détruire légalement le 39 rue Myrha, le cas échéant le 28 rue Cavé, et de construire légalement sur ces parcelles (dussent-elles être « libérées » néanmoins) et celles du 30 rue Cavé des immeubles plus hauts que deux étages (nos billets des 15 et 17 novembre 2021, 13 février 2022). Ce faisant, l’association prenait appui sur les travaux préparatoires du futur PLU bioclimatique de Paris et sur le sursis à statuer qui, obligatoire, interdit d’ores et déjà toute décision municipale sur des projets de construction rehaussant les immeubles dits « dents creuses ».
Dans deux billets postés les 15 et 17 novembre 2021 à l’ouverture du débat du Conseil de Paris sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable, Cavé Goutte d’Or a rappelé les mécanismes du sursis à statuer instauré par l’article L153-11 du code de l’urbanisme et les effets paralysants de ce sursis sur « les opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan local d’urbanisme (PLU) ».
Tout en saluant le vœu des Verts qui, amendé par l’exécutif parisien et approuvé par une solide majorité du conseil municipal, venait confirmer la faculté donnée aux maires par l’article L.153-11 du code de l’urbanisme de reporter leur décision dans ces cas là, Cavé Goutte d’Or rappelait que la jurisprudence administrative avait, par le biais de l’erreur d’appréciation, transformé en obligation ce que la loi donnait pour une faculté.
Le Conseil d’État a en effet jugé que le maire qui déciderait de ne pas surseoir à statuer sur la demande d’un permis de construire dont l’octroi compromettrait le futur PLU pourrait se voir reprocher une erreur d’appréciation entrainant l’illégalité du permis accordé.
Sans bien sûr entrainer le président de la Commission d’urbanisme de la Ville de Paris dans sa démonstration, ni solliciter les déclarations publiques d’Émile Meunier au-delà de ce qu’elles disent expressément, la thèse soutenue par Cavé Goutte d’Or était confortée par les propos de cet élu EELV du 18e arrondissement de Paris très engagé sur la question, auteur déjà d’un appel « pour un urbanisme de la respiration dans le 18ème » posté dans l’entre-deux-tours des dernières élections municipales, le 17 mai 2020.
Entretemps, comme Cavé Goutte d’Or l’a exposé dans son billet du 13 février 2022, l’élu EELV a pu préciser les contours de son appel et notamment prendre la défense des « dents creuses », expression en réalité pas très jolie qui sera peut-être un jour remplacée par « interstices » (comme le suggère un des plus fidèles consultants de Cavé Goutte d’Or-merci à lui) ou plus simplement encore « ouvertures », comme l’a fait Émile Meunier lui-même en marge du projet de rénovation de l’immeuble Tati : « Des alignements parfaits d’immeubles, ce n’est pas ça, l’histoire de Paris. Et d’un point de vue climatique, ces ouvertures sont importantes pour laisser passer les flux d’air et la lumière » (sources : Tweet d’EELV, 26 décembre 2021 ; Le Parisien, 26 décembre 2021 ; Le Figaro, 28 décembre 2021).
« La doctrine des écologistes
sur les dents creuses »
Ainsi martelé au fil de l’année 2021, l’argument était repris par le président de la Commission de l’urbanisme devant le Conseil de Paris lors du débat engagé en novembre dernier pour la révision du PLU, culminant ainsi en sa force politique et juridique : « Respirer. Paris étouffe. Aujourd’hui, on coupe les arbres dans les cours intérieures pour y faire des immeubles (…) Il faudra construire moins large qu’avant et préserver les hauteurs, les dents creuses pour laisser passer l’air et la lumière dans nos rues ».
Plus précis encore, lors de la même session du Conseil de Paris, Émile Meunier posait ce qu’il appelait « la doctrine des écologistes sur la question des dents creuses » : « Vous le savez, nous sommes très attachés au dénivelé des toits, notamment pour la beauté patrimoniale, mais aussi pour des questions climatiques. Nous avons besoin de ces espaces d’aération, de respiration pour laisser passer l’air, le soleil, et rafraîchir nos rues. Voilà le principe. Donc, oui, il faut conserver des dents creuses à Paris » (sources : Bulletin officiel de la Ville de Paris, Débats, conseil municipal des 16-19 novembre 2021, pages 7 et 231).
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À en croire les Verts de Paris, cette doctrine est aujourd’hui renforcée par le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Dans un tweet du 5 avril 2022, le président de la Commission d’urbanisme de la Ville de Paris établit en effet un lien direct entre le dernier rapport du GIEC et les « 10 Points d’alerte » des Verts sur l’avant-projet du Plan d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) en prévision du futur PLU bioclimatique de Paris, « 10 points d’alerte » présentés par le Groupe écologiste de Paris lundi 28 mars 2022 lors d’une conférence de presse que Le Monde qualifie d’« exceptionnelle », – « la première tenue hors de l’Hôtel de Ville depuis les municipales », précise le journal. Or, le huitième de ces dix points rappelle la nécessité de « limiter l’alignement et préserver les dents creuses », message qu’Émile Meunier n’a cessé de marteler depuis deux ans au nom de « l’urbanisme de la respiration » défendu dans son texte précité de 2020.
Du GIEC à la rue Myrha,
les grandes manœuvres
La RIVP (Régie immobilière de la Ville de Paris) est propriétaire du 39 rue Myrha et peut renoncer au permis de démolir ce petit immeuble faubourien que la Commission du Vieux Paris voulait voir protéger et dont Émile Meunier a demandé la grâce:
« Vous avez maintenant du R+6 et R+7 sur toute la rue (Myrha). Alors, la pauvre petite dent creuse qui reste, s’il vous plaît, épargnez-la », lançait-il au Conseil de Paris de novembre 2021 (Bulletin officiel de la Ville de Paris, Débats, conseil municipal des 16-19 novembre 2021,page 232).
Seule, aujourd’hui, la RIVP peut épargner cet immeuble. Seul en effet le bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme peut y renoncer. Il n’est pas trop tard. Et la RIVP le peut d’autant plus que son président David Belliard, adjoint à la maire de Paris, est aussi un élu du parti EELV dont la doctrine sur les dents creuses nous est désormais bien connue.
Le tandem Meunier-Belliard ne saurait laisser passer l’occasion.
Même si, pour le dire comme David Belliard au soir du premier tour de la présidentielle, les Verts n’ont peut-être « pas de quoi fanfaronner » après la défaite de Yannick Jadot, ils restent « décisionnaires » selon les propos de Fatoumata Koné, présidente du groupe EELV au Conseil de Paris : « (La présidentielle) ne va pas changer grand-chose, tout simplement car nous pesons déjà beaucoup au sein du Conseil depuis le début de la mandature. Notre parole est entendue. Et du fait de la majorité ténue, nous sommes décisionnaires » (Le Parisien, 12 avril 2022).
Ainsi pourront-ils, décisionnaires, freiner également les ambitions des promoteurs sur les petites maisons restant dans la rue Cavé, promoteurs qui, publics ou privés, prétendent y « optimiser les possibilités constructives », comme l’a récemment proposé la Foncière de la Ville de Paris, à contre-courant de toutes les politiques appelant à la sobriété.
Ils seront suivis si l’on en croit l’accueil réservé à leur « 10 points d’alerte ». Mais, au-delà des grandes manœuvres qui s’annoncent à l’Hôtel de Ville, et au-delà même de la décision dont les décisionnaires de Fatoumata Koné sauront faire usage (les habitants du quartier se souviennent de la trahison des Verts sur le malheureux projet Boris Vian), c’est de droit selon l’analyse proposée ici – de droit par le jeu du futur PLU et du sursis à statuer – que ces parcelles sont devenues inconstructibles à plus de deux étages
Vers une « doctrine
de logements sociaux vertueux »
Bien conscient que urbanisme de la respiration et préservation des dents creuses, d’une part, et surdensification de la ville et besoin de logements sociaux, d’autre part, peuvent être antinomiques, les Verts de Paris proposent un travail en dentelle, pour reprendre encore une expression du patron de la Commission d’urbanisme: « Il y a une densité de 60.000 personnes au kilomètre carré à la Goutte d’Or. Il faut faire de la dentelle, j’allais presque dire de l’acupuncture, sur ces questions de dents creuses. Pour la révision du PLU, il faut reprendre rue par rue – je dis bien rue par rue ! – et voir là où cela a du sens de les augmenter pour faire du logement social et là où c’est déjà fait, là où on veut préserver des maisons de ville. Nous avons le droit de garder des maisons de ville à Paris; nous n’allons pas faire du R+7 partout » (sources : Bulletin officiel de la Ville de Paris, Débats, conseil municipal des 16-19 novembre 2021, page 232).
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Au-delà de la dentelle, force est de noter que la Goutte d’Or en général, les trois parcelles qui nous retiennent ici en particulier, ne sont pas classées en déficit de logements sociaux et le dilemme n’a donc pas lieu d’être (et ici encore : de droit) entre la doctrine des écologistes sur les dents creuses et le pourcentage légal de logements sociaux qui détermine si un quartier est en déficit ou non.
Si néanmoins ces parcelles devaient être dédiées à la construction de logements sociaux ou de logements abordables pour répondre à la demande et lutter contre l’inflation immobilière, que ces logements soient en location via les bailleurs sociaux de la Ville (comme ce serait le cas du 39 rue Myrha) ou en vente via la Foncière de la Ville (comme ce serait celui du 30 rue Cavé, peut-être bientôt du 28), alors rien n’empêche de construire sur ces parcelles des immeubles limités à deux étages, quelle que soit leur destination, – cela afin de ne pas prendre prétexte de la démolition pour construire plus haut et plus dense.