Hidalgo au 3ème tour : « Élisez-moi maire de la Goutte d’Or ! »
- Quand la maire de Paris n’avait pas encore trahi sa promesse aux Parisiens de ne pas être candidate à la présidence de la République, elle venait souvent dans la Goutte d’Or et les habitants l’y ont vue beaucoup plus que la députée LFI Danièle Obono, peu investie dans le quotidien de ce quartier pourtant très ‘populaire’ de la capitale.
- Moralité : après la débâcle personnelle de la maire de Paris, celles du PS et des candidats LR, Verts et PC à la présidentielle, un boulevard est enfin ouvert aux habitants pour reprendre en mains leur quartier.
- Pourquoi pas via l’ANRU et la création d’un Conseil citoyen Goutte d’Or dans le contexte de la loi Lamy, – ANRU et loi Lamy récemment remises en selle par le président de la République réélu.

Anne Hidalgo a convaincu 11 électeurs de l’extrême Goutte d’Or Sud de voter pour elle au premier tour de l’élection présidentielle du 10 avril 2022, soit 0,9% de 1266 votants sur 1942 inscrits (sources: visucity.com et Le Monde). Agrandir l’image.
Le « cœur de la Goutte d’Or », comme disent les journaux quand ils évoquent les difficultés d’un des premiers quartiers de Paris classé « populaire » (c’est-à-dire « défavorisé » selon la terminologie plus crue et plus franche de l’article premier de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite loi Lamy) a voté Jean-Luc Mélenchon à près de 70% au premier tour de la présidentielle : 68,4% dans le bureau de vote n° 56 couvrant le secteur en forme d’enclume compris entre le boulevard de la Chapelle au Sud, le boulevard Barbès à l’Ouest, la rue de la Goutte d’Or au Nord, incluant les rues de Chartres et de la Charbonnière, Caplat et des Islettes, cette dernière accueillant la place de l’Assommoir, du nom du célèbre roman d’Émile Zola paru en 1877.
Dans les quatre bureaux de la Goutte d’Or que nous suivons régulièrement sur ce blog, le patron de la France insoumise a obtenu une moyenne de 61,9% des voix, largement devant Emmanuel Macron qui, en deuxième position, remportait 16,9% des suffrages au premier tour (45 points d’écart). La maire de Paris recueillait 0,69% des voix (11 électeurs sur 1266 votants et 1942 inscrits) dans le bureau n° 56 et une moyenne de 1,87% (94 électeurs sur 5069 votants et 7141 inscrits) dans les quatre bureaux n° 55 à 58 de la Goutte d’Or, un quartier dont on rappelle qu’il est littéralement la propriété de la Ville de Paris. Presque entièrement municipalisée depuis sa démolition dans les années 1980, la Goutte d’Or est en effet aujourd’hui presque entièrement gérée par la Ville de Paris qui intervient sur tous les fronts, le logement, les pieds d’immeuble, la vie associative n’étant pas les moindres.
La gouvernance de la Goutte d’Or discréditée
La Mairie de Paris, la Mairie du 18e, les deux maires en place, leurs adjoints respectifs à la Politique de la ville, à l’Urbanisme, au Logement, à la Sécurité, le Conseil de quartier lui-même qui, il y a tout juste un an, organisait avec la bien nommée « Démocratie locale » des déambulations faméliques pour « Embellir la Goutte d’Or », sont sans doute en partie responsables de l’échec des rénovations successives du quartier et du désintérêt des habitants pour la démocratie, représentative et participative confondues (notre billet du 27 juin 2021). Un échec qui, d’élections en élections, a conduit au désaveu cinglant illustré par les scores réalisés dans les quatre bureaux de la Goutte d’Or par Anne Hidalgo en sa double qualité de maire de Paris et candidate du PS à l’élection présidentielle, puisque aussi bien c’est par le PS et ses alliés que Paris gère la Goutte d’Or.
Pour qui suit au quotidien la gérance de la Goutte d’Or par la Ville de Paris via sa Mairie du 18e arrondissement, cette gérance est principalement tenue par Paris en commun et les Verts (respectivement 12 et 7 élus sur 27 dans le 18e arrondissement), les Républicains étant très peu représentés (4 sur 27), la France insoumise et la République en marche pas du tout, LREM l’étant tout au plus par les trois élus Indépendants et progressistes (sources : mairie18.paris.fr).
Absente de la municipalité, LFI se rattrape à l’Assemblée nationale où Danièle Obono a remplacé Daniel Vaillant à la tête de la 17e circonscription de Paris en juin 2017 (cf. notre billet du 30 juin 2017 « La Goutte d’Or (in)soumise à 54% »). On rappelle que Pierre-Yves Bournazel (qui s’est retiré de la Goutte d’Or au moment où il a renoncé à affronter Éric Lejoindre) est pour sa part le député de la 18e circonscription à l’Ouest du boulevard Barbès, surplombant désormais le « quartier défavorisé » (Loi Lamy, article 1er) où il était très actif.
C’est donc bien, brossé à grand trait, le duo Paris en commun-EELV issu des élections municipales de mars et juin 2020 qui gère la Goutte d’Or, comme d’ailleurs il la gérait dans la précédente mandature de 2014 à 2020.
Si aujourd’hui, à la lumière notamment des contre-performances d’Anne Hidalgo sur le terrain et dans urnes, les Verts se sentent un peu plus « décisionnaires », pour le dire comme leur présidente de groupe au Conseil de Paris (« Nous pesons déjà beaucoup au sein du Conseil depuis le début de la mandature. Notre parole est entendue. Et du fait de la majorité ténue, nous sommes décisionnaires », explique Fatoumata Koné au Parisien du 12 avril 2022), le duo Paris en commun-EELV reste déséquilibré à douze contre sept, – une situation que le blog de Cavé Goutte d’Or prédisait à la veille du second tour des municipales de 2020 (cf. « Les Verts fondus dans le paysage commun de Paris en commun? »).
Sept semaines
pour changer de cap
De la soumission des Verts à Paris en commun en 2020 vient peut-être le faible score qu’eux-mêmes ont réalisé le 10 avril 2022 dans les bureaux de vote que nous examinons ici. À l’instar d’Anne Hidalgo qui n’y réunit que 11 votants, c’est dans le bureau de vote n° 56 que Yannick Jadot fait son score le plus bas, ne rencontrant les suffrages que de 63 électeurs dans cette partie du « cœur de la Goutte d’Or » sans doute la plus sinistrée par les rénovations urbaines qui s’y sont succédé.
Avec une moyenne de 6,9% sur les quatre bureaux, Yannick Jadot ne compte que 349 électeurs sur 5069 votants. Avec 349 électeurs pour Yannick Jadot et 94 pour Anne Hidalgo, les deux candidats n’ont réuni au total que 443 électeurs sur 5069 votants et 7141 inscrits. Unis pour le pire et le meilleur selon la formule consacrée, les Verts et Paris en commun ne peuvent ainsi que constater le divorce entre eux et les habitants de la Goutte d’Or. L’inventeur du slogan « Tous mobilisés » qui a marqué du sceau de la frivolité les multiples opérations municipales menées ces dernières années par la gouvernance Verts-PS doit se dire qu’il a dû rater quelque chose.
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Après s’être soumis à Paris en commun en 2020, les Verts de la Goutte d’Or se soumettront-ils à LFI en juin 2022 ? Les quelques semaines qui nous séparent des législatives des 12 et 19 juin prochains le diront. Nous verrons alors si les aimables négociations entre les états-majors tiendront compte de la liste d’investitures validée par la Commission permanente électorale d’EELV le 21 mars 2022 qui évoquait le nom de Mams Yaffa, figure de la Goutte d’Or et adjoint au maire du 18e chargé des sports, comme candidat pour la 17e circonscription (Barbès-Goutte d’Or) et celui Léa Balage, adjointe d’Éric Lejoindre chargée notamment de la vie associative et de l’alimentation durable pour la 18e circonscription (Barbès-Montmartre). Ou si cette liste sera balayée par la volonté ambitieuse et/ou l’ambition volontaire de LFI : « Nous voulons ambitionner de gouverner », lançait en effet dans une formule bien ampoulée Danielle Simonnet sur le plateau de France info dès le 25 avril 2022, l’oratrice nationale des insoumis ajoutant pour faire bonne mesure sa volonté de renvoyer le président de la République réélu la veille « au rôle de la reine d’Angleterre, c’est-à-dire rien » (merci pour elle).
Si l’on en croit une affiche vite apposée devant le bureau de vote n° 55, dans lequel Yannick Jadot a obtenu 102 votes sur 1217 (8,4%), Mams Yaffa semble avoir pris le parti de s’en passer, du parti, et de filer à l’anglaise, comme la reine, version Simonnet.
Mais la France insoumise (qui, avec son « Avenir en commun », a déjà repris une partie du logo PS de « Paris en commun » et, avec son « Union populaire », largement investi l’appellation orwellienne des « quartiers défavorisés ») a-t-elle vraiment de quoi pavoiser dans la Goutte d’Or, où certes elle ne manque pas d’occuper les murs (de notoriété publique, le parti de Jean-Luc Mélenchon est celui qui se sert le plus de l’espace public et fait le plus travailler les équipes de nettoyage de la Mairie de Paris) ? Toujours pour qui suit la vie quotidienne de la Goutte d’Or, participe à ses comités de suivis de ci et de ça, se réunit autour des totems chancelants d’Anne Hidalgo ou des projets farfelus de Carine Rolland, son adjointe à la Culture et au quart d’heure, consistant à colorier les rues pour les rendre plus « citoyennes », la France insoumise est inconnue du terrain. Si l’apport ponctuel de LR ou des Indépendants et progressistes aux initiatives d’habitants demeure, les interlocuteurs institutionnels du terrain sont principalement Verts et PS, les autres composantes de Paris en commun étant également peu présentes.

« Les rez-de-chaussée doivent présenter des façades les plus ouvertes possible en évitant l’implantation directement en façade sur voies de locaux aveugles (locaux techniques, de service…) ; les parties pleines doivent être les plus limitées possibles de façon à éviter l’affichage ou la mise en œuvre de graffitis » (article UG.11.1.4 du Règlement du PLU de Paris). Illustration contraire: immeuble Batigère à l’angle des rues Myrha et Affre (Photo CGO, mars 2022).
Il est donc probable que le vote majoritaire de la Goutte d’Or en faveur de Jean-Luc Mélenchon soit principalement un vote pour sa personne, le scrutin des législatives de 2017 ne donnant peut-être pas à LFI tout le poids que pense peser Danièle Obono. On se souvient en effet que la députée qui a remplacé Daniel Vaillant au Palais Bourbon en 2017 a largement bénéficié de l’incruste de Daniel Vaillant qui briguait sa propre succession contre tout le monde, notamment contre Ian Brossat (PCF), contre Colombe Brossel (PS) et contre Béatrice Faillès (LREM), avec le seul soutien de… Bertrand Delanoë. Ce qui fait froid dans le dos quand on pense que les chaînes d’info continue tentent actuellement d’offrir à l’ancien maire de Paris le poste de premier premier-ministre du gouvernement Macron II (nos billets des 11 et 30 juin 2017 : « Quelle Goutte d’Or au Palais Bourbon ? » et « La Goutte d’Or (in)soumise à 54% »).

Avec son « Avenir en commun » inspiré du « Paris en commun » du PS et son « Union populaire » inspirée de l’appellation « quartiers populaires » vs « quartiers défavorisés », LFI semble vouloir marcher sur de multiples plates bandes, y compris celles de ce joli square de la Goutte d’Or (Photo CGO, mars 2022).
La rue vote l’Anru
Mais il n’est pas nécessaire d’attendre les investitures finales, encore moins la composition du gouvernement de transition, pour remettre dès maintenant en question la gérance de la Goutte d’Or par le tandem Paris en commun-EELV.
Cette remise en question peut avoir lieu dès maintenant. Fidèle à son action toujours très légaliste (au sens où l’on se sert des moyens offerts par le droit pour faire fonctionner les institutions : cela vaut de l’association de quartier à l’ONU en passant par les rouages de l’État et ceux de la Ville), Cavé Goutte d’Or met aujourd’hui ses espoirs dans la confiance réciproque que semblent s’être accordée la présidence de la République et celle de l’ANRU.
Olivier Klein, maire PS de Clichy-sous-Bois de 2014 à 2020, exclu du PS pour cause de rapprochement avec Emmanuel Macron, réélu néanmoins en sa Mairie en 2020, entretemps parrain de la candidature de Benoit Hamon à la présidentielle de 2017 (à ces titres pas éloigné de la gauche dont il est toujours un élu DVG), est également président de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), et à ce titre proche des « quartiers défavorisés » de la Loi Lamy.
Il a soutenu Emmanuel Macron lors de la dernière présidentielle, pas par idolâtrie, précisait-il, mais « pour être le relais des quartiers populaires et apporter des idées sur l’avenir de la politique de la ville » (Le Parisien du 12 février 2022).
Emmanuel Macron, de son côté, a terminé sa campagne le 21 avril 2022 à Saint-Denis et réservé sa première visite de président réélu à Cergy le 27 avril. Au-delà des quelques propos convenus qu’il a tenus à Saint-Denis (« L’ensemble des habitants de nos quartiers populaires sont une chance pour notre République » … « message d’ambition et de considération à tous les quartiers trop souvent stigmatisés » … « on ne résout aucun problème en séparant une partie de notre société » … « j’ai la volonté de changer les choses, elles ne bougent pas assez vite », selon le Monde du 22 avril 2022), il reste un engagement renouvelé qu’il appartient « aux quartiers », en l’occurrence à la Goutte d’Or, de surveiller.
Une première piste consiste à saisir l’ANRU du risque de détournement des fonds publics attribués par son intermédiaire à « l’opération Boris Vian ». Au détour d’un permis de construire récemment accordé par la maire de Paris à son bailleur social Paris Habitat, Cavé Goutte d’Or a découvert que les fonds publics affectés au projet de requalification de « l’îlot Boris Vian » risquaient en effet d’être détournés de leur destination. Car, selon la convention dite « des projets de renouvellement urbain de la Ville de Paris cofinancés par l’ANRU dans le cadre du NPNRU (Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain) » validée par le Conseil de Paris le 11 décembre 2019, l’ANRU est appelée à cofinancer « la revalorisation de commerces de la rue de la Goutte d’Or », cela dans le cadre d’une opération de requalification qui insiste sur la commercialisation nécessaire du secteur, le bailleur Paris Habitat ne manquant lui-même pas de souligner dans sa demande de permis de construire que son projet a pour objectif d’« améliorer la commercialité de la rue de la Goutte d’Or ».
Et pourtant non, puisque plusieurs des espaces expressément destinés à cette commercialisation nécessaire et convenue sont en réalité affectés à des projets associatifs non commerciaux.
Une action consistant à contrôler l’attribution des pieds d’immeubles gérés par la Ville de Paris via son bailleur social Paris Habitat (et au besoin leur mésusage à des fins de trafic de drogue comme l’a rappelé le blog dans son billet du 10 avril 2022) et la destination réelle des fonds de l’opération Boris Vian permettrait aux habitants du quartier de prendre ou reprendre en mains sa destinée. Plusieurs d’entre eux travaillent depuis quelques temps à la création d’un conseil citoyen spécifique au QPV de la Goutte d’Or qui pourrait prendre la forme d’une association Loi 1901 ou d’une coopérative. Cavé Goutte les accompagnent jusqu’à l’été. Renseignements : cavegouttedor@gmail.com.
- Lire en page Défense du quartier: « Vers un audit de l’opération Boris Vian? » Un permis de construire accordé par Anne Hidalgo à Paris Habitat vient entériner la politique associative de la Mairie du 18e qui favorise l’attribution des pieds d’immeubles des bailleurs de la Ville aux associations au détriment des commerces et des projets commerciaux, voire au détriment de l’ANRU et des fonds publics distribués par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.