Le Tribunal administratif a enregistré cette semaine deux référés contre le projet de renouvellement urbain de la Goutte d’Or Sud
- Déjà visés par un recours en annulation, la délibération du Conseil de Paris du 11 décembre 2019 prononçant le déclassement de l’ancienne rue Boris Vian et le permis de construire du 19 août 2020 qui pense pouvoir en découler sont aujourd’hui l’objet de deux référés demandant la suspension de leur exécution.

1991-2021 – Déconstruction, reconstruction: la Goutte d’Or, terrain de jeux et d’expériences de la politique de la ville.
On se souvient que la délibération du Conseil de Paris du 11 décembre 2019 avait consacré la rupture entre le PS et ses alliés Verts bien avant les multiples événements qui, depuis, l’ont consommée (notre billet du 16 décembre 2019) et fait l’objet d’un recours en annulation déposé par l’association Cavé Goutte d’Or en août 2020.
Ce recours est fondé notamment sur le fait que le déclassement a été prononcé alors que les réserves du commissaire enquêteur n’avaient pas été levées, consacrant ainsi, comme le rappelle Cavé Goutte d’Or dans son récent mémoire en référé, « la méconnaissance de plusieurs dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général de la propriété des personnes publiques, du code de la voirie routière, du code des relations entre le public et l’administration ».
Ce qui, soutient l’association, porte atteinte de manière grave et immédiate à l’intérêt public et à aux intérêts qu’elle entend défendre, conditions que Cavé Goutte d’Or estime remplies pour ce qui concerne son recours en référé contre la délibération du Conseil de Paris, objet d’une confusion telle que les votes n’ont pas été enregistrés correctement (les Verts auraient voté pour, le PC contre).

Extrait du Tableau des votes des groupes politiques, BO de la Ville de Paris, Débats, séance des 9-12 décembre 2019, page 582 (lien). Agrandir l’image.
Pour ce qui est du recours contre le permis de construire lui-même, les requérants estiment que plusieurs des moyens qu’ils ont présentés dans leur requête au fond du 20 octobre 2020 sont « propres à créer, en l’état actuel de l’instruction, des doutes sérieux sur la légalité de l’arrêté entrepris », comme l’exige l’article L.521-1 du code de justice administrative :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
Outre le défaut de déclassement par anticipation du domaine public de voirie (donc l’illégalité de la délibération du Conseil de Paris) et la disposition indue du domaine public qui s’ensuit, les moyens soumis au juge des référés par les requérants sont les suivants
– Le signataire du permis de construire accordé à Pariseine n’a pas compétence pour délivrer l’autorisation d’ouverture d’établissement recevant du public : Déjà défendu dans la requête déposée en octobre, ce moyen a été accueilli, depuis, par le Tribunal administratif de Paris dans l’affaire jugée le 7 janvier 2021 à la requête de l’Association de préservation du quartier de la rue Erlanger présentant une situation identique.
– L’autorisation pour modifier la destination du terrain d’éducation physique (TEP) n’est pas produite : Le projet mis en œuvre par Pariseine implique une altération non autorisée d’un équipement sportif de la Ville de Paris qui, en cas d’exécution du permis, serait amputé d’un cinquième de sa surface et flanqué de jeux d’enfants limitant l’usage de cet équipement sportif. « Or, aux termes de l’article L.312-3 du code du sport, la suppression totale ou partielle d’un équipement sportif dont le financement a été assuré par une ou des personnes morales de droit public est sujette, comme la modification de son affectation, à une autorisation, elle-même subordonnée à la condition que l’équipement supprimé ou modifié soit remplacé par un équipement équivalent », lit-on dans le mémoire déposé par les requérants le 17 février 2021.

Covisibilité au carrefour Boris Vian, Saint Luc et Polonceau (image Google).
– L’architecte des Bâtiments de France n’a pas donné son avis conforme : Dans ses avis des 14 novembre 2019 et 20 janvier 2020, l’ABF indique que le projet n’est situé dans le champ de visibilité d’aucun monument historique. Or, indiquent encore les requérants dans leur mémoire, « il est avéré que le projet se situe dans le champ de visibilité de l’église Saint-Bernard de la Chapelle et que cette église est un monument historique classé par un arrêté du 18 juin 2015 ». Ne considérant manifestement que l’adresse du 12 rue de la Goutte d’Or, l’architecte des Bâtiments de France a méconnu l’emprise totale des travaux projetés et ignoré le fait que le projet était en covisibilité avec le monument historique tant en ce que l’un est visible à partir de l’autre dans l’angle Nord-Ouest, au croisement des rues Boris Vian, Saint Luc et Polonceau, qu’en ce que les deux peuvent être embrassés d’un même regard depuis la rue Polonceau en partie haute et depuis le carrefour des rues Polonceau, Pierre L’Ermite, Jessaint, la Charbonnière et la Goutte d’Or en partie basse comme en témoigne le reportage photographique produit par les requérants (voir illustrations).

Covisibilité au carrefour Polonceau, Pierre L’Ermite, Jessaint, la Charbonnière, Goutte d’Or (image Google).
– L’atteinte au caractère et à l’intérêt des lieux : « Le permis querellé autorise un ensemble architectural monumental sur un espace libre de toute construction et méconnaît ainsi l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme », plaident les requérants. Selon ce texte, « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ».

« Un ensemble architectural monumental sur un espace libre de toute construction ». Illustration Pariseine.
« Constitué d’une ‘charpente de bois architecturée’ surmontée d’une ‘couverture réalisée en polycarbonate’ selon la notice de ses auteurs, l’édifice volumineux imaginé pour couvrir le TEP ne fait l’objet d’aucun traitement paysager adapté garantissant une bonne intégration dans le site », poursuivent les opposants au projet.
« Cette circonstance est d’autant plus regrettable qu’outre la covisibilité précitée avec l’église Saint Bernard de la Chapelle, monument historique classé, le terrain d’assiette du projet jouxte plusieurs bâtiments haussmanniens, néo-haussmanniens et faubouriens d’autant plus dignes d’attention qu’ils sont rescapés d’une précédente opération immobilière dont la Ville elle-même a dû récemment constater l’échec », écrivent-ils encore.
Et de conclure sur ce point : « À cela s’ajoute que les constructions autorisées obstrueront un espace actuellement dégagé qui offre une respiration urbaine d’autant plus nécessaire que le quartier est parmi les plus denses de Paris. Elles supprimeront une aire de sport à ciel ouvert au moment même où ces aires sont particulièrement indispensables à la protection sanitaire des habitants et usagers, comme l’établissent notamment les principes portés par le Protocole sanitaire du 2 novembre 2020 établi par le Ministère de l’Éducation nationale, principes aux termes desquels ‘les activités physiques et sportives en intérieur sont interdites’ ».
Médiation dopée ?
On se souvient que, le 19 novembre 2020, les requérants avaient proposé à la Ville de Paris une médiation sous l’égide du Tribunal administratif. La demande avait été transmise par le Tribunal le 4 décembre 2020 avec un délai d’un mois pour y répondre. Restée silencieuse à l’échéance du 4 janvier 2021, la Ville a été relancée par le greffe qui, si on en croit le site de Télérecours citoyens, aurait envoyé le 21 janvier une « demande d’accord pour médiation » avec un nouveau délai d’un mois, échéant ce 21 février 2021.

Extrait du site Télérecours citoyens, 21 février 2021.
Déposé mercredi soir 17 février, les recours en référé ont pour leur part été enregistrés par le Tribunal jeudi matin 18 février. La clôture est d’ores et déjà fixée au 1er mars 2021.