L’improbable politique culturelle de la SEMAVIP

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Synergie renversante ou mimétisme à l’envers ? Pendant qu’aux confins de Montfermeil et Clichy-sous-Bois, dans le 9-3, le ministre de la Culture, M. Frédéric Mitterrand, prenait fait et cause pour la transformation flamboyante de la Tour Utrillo en un espace culturel prestigieux de type Villa Médicis, la friche de l’ancienne mercerie du carrefour Myrha/Léon, dans le 1-8, était l’objet d’un triste appel d’offre de la SEMAVIP pour y construire un prétendu « centre culturel », dont le label même lui serait refusé par le maire Daniel Vaillant.

Chassé Croisé

Le 2 février 2012, Frédéric Mitterrand dévoilait en effet les grandes lignes du projet de Montfermeil dont rendraient compte, notamment, Artclair.com, Le Parisien, Le Magazine littéraire, le Bondyblog, après Le Figaro le mois dernier et Le Monde dès septembre 2011, autant de journaux qui suivent le projet par le menu depuis près d’un an, la chaîne d’info continue LCI offrant à voir, pour sa part, un reportage très sérieux dans ses éditions du 2 février 2012.

Le 30 janvier 2012, plus discrètement ma foi, le maire du 18e arrondissement de Paris, Daniel Vaillant, était interpellé en son Conseil d’arrondissement par Danielle Fournier, élue d’Europe Écologie Les Verts (EELV), sur un soi-disant « centre culturel » dédié aux musiques du monde que la SEMAVIP, aménageur démolisseur de Château Rouge, voulait « implanter » en catimini dans ce « quartier difficile ».

Manifestement peu souhaitée par le maire, l’interpellation verte, et donc amie puisque le PS et EELV sont alliés dans la majorité au pouvoir, devait susciter un débat presque houleux durant lequel Daniel Vaillant, avant de plier bagage abruptement, devait même interdire à la SEMAVIP, présidée par son collègue Roger Madec, sénateur maire PS du 19e arrondissement, de se servir du mot « culturel » pour son projet d’activités musicales associatives.

On salue donc Le 18e du Mois, fidèle au poste, qui – sous le titre « Un centre culturel tombé du ciel » – réussit à donner à ses lecteurs une information précise sur la question dès le lendemain du Conseil d’arrondissement (n° 191, Février 2012, p. 13) et La Lettre d’EELV qui publia la question de Danielle Fournier dans son numéro du 31 janvier 2012.

« Un centre culturel tombé du ciel », Le 18e du mois, Février 2012.

À part cela, force est de constater que la Goutte d’Or n’a pas encore fait la une culturelle avec son projet de résidence musicale, et de s’interroger en conséquence sur la possibilité de la SEMAVIP, qu’on a vue sur ce blog particulièrement réfractaire à l’art et au street art, de rivaliser avec le ministère de la Culture.

  

 La SEMAVIP hors les murs

Connu au-delà du quartier, au-delà même des frontières nationales, pour avoir saccagé le patrimoine architectural et social de la Goutte d’Or dans une fuite en avant démolisseuse au nom d’une prétendue « résorption de l’habitat insalubre » (RHI), le trio Urbanisme – Logement – Aménageur public qui sévit sur le quartier depuis une trentaine d’années (1982-2012) n’était assurément pas à la hauteur de l’ambition de monter un projet culturel en face de la boulangerie TGT (du nom Treutel-Garcia-Treutel, les architectes maîtres de l’opération Château Rouge, hélas), à un jet de pierre du checkpoint du célèbre square Léon, où les petits camarades de jeu de l’aîné des Beckham ne se consolent pas de la récente renonciation du space couple à venir s’installer dans la Goutte d’Or (voir sur le blog : Les Beckham arrivent et Les Beckham renoncent).

Pas à la hauteur et sans réseau culturel solide puisque, à en croire les explications fournies au Conseil d’arrondissement du 30 janvier 2012 par le trio Urbanisme – Logement – Aménageur public, la parcelle que l’opération Château Rouge envisageait de consacrer à la culture « ne trouvait pas preneur ».

Il est vrai que l’appel d’offre de la SEMAVIP, tendant à « désigner un groupement d’opérateur/gestionnaire chargé de concevoir, de réaliser et de gérer un centre culturel privé dans le secteur d’aménagement Château Rouge », n’était pas très sexy et que, dût-elle aider, la référence à un « centre culturel » devait se révéler fautive : « C’est une très mauvaise indication de la part de la SEMAVIP, c’est tout à fait faux », devait observer devant ses collègues Madame Afaf Gabelotaud, adjointe au maire du 18e, chargée du Commerce de l’artisanat et du développement économique, pendant que Daniel Vaillant en personne ajoutait : « Je souhaite que le panneau soit enlevé. Il devrait déjà l’être d’ailleurs». Datant du 5 février, la photo illustrant cet article démontre qu’il n’en était rien. Le panneau était toujours là le 13 février, et la SEMAVIP ne l’a remplacé qu’entre le 13 et le 14 février, comme pour faire un coucou au maire pour la Saint Valentin.

Le quartier tombe dans le panneau

Photo Cavé Goutte d'Or, 5 février 2012.

Les lecteurs de Cavé Goutte d’Or sont familiers des indications approximatives, quand ce n’est « tout à fait fausses » pour le dire comme Mme Gabelotaud ou mensongères que lance la SEMAVIP dans ses relations avec les autorités communales et le voisinage, notamment en matière de programmation de travaux, d’affichage de permis et des prétendues « nombreuses carrières » du sous-sol de la Goutte d’Or qui n’ont pas encore mis un coup d’arrêt à celle de sa directrice générale.

Photo Cavé Goutte d'Or, 14 février 2012.

Moins familiers avec la communication brutale de la SEMAVIP (les sémiologues de la Mairie diront si le nom Espace 360° pour « Collectif d’entreprises culturelles» suffit à calmer l’ire du maire qui ne veut entendre parler de centre culturel), quelques habitants du quartier se sont ainsi étonnés d’un projet qui en effet semblait « tombé du ciel ». Danielle Fournier aura donc été leur porte-parole dans l’enceinte du Conseil, le 30 janvier 2012 :

  • « Comme les riverains des rues Léon et Myrha, les élu-e-s d’EELV ont découvert tout début janvier, par un panneau, la création prochaine d’un centre culturel dédié aux musiques du monde dansla Goutted’Or. »
  • » Pourquoi la création de cet équipement n’a-t-elle fait l’objet d’aucune information préalable, d’aucune concertation, et donc d’aucune discussion dans le cadre de la concertation concernant l’opération de rénovation de Château rouge ?
  • » Pourquoi les conseillers du 18e n’en ont-ils pas été avisé ?
  • » Quelle place dans le quartier le Maire de Paris et celui du 18e comptent-t-ils accorder à cet équipement privé (…) ? »

Le débat était lancé, et Danielle Fournier pouvait légitimement revendiquer l’initiative d’avoir mis sur la place publique un projet qui faillit bien rester dans le secret des célèbres comités théodules décisionnels. Gênés, les dirigeants de l’opération ont au demeurant pondu un communiqué truffé de fautes d’orthographe (le blog en fait aussi, c’est vrai) distribué dès le lendemain 31 janvier 2012, sinon le soir même du Conseil quand on voit et entend, sur la vidéo en direct, le maire de cérémonie se référer à une réponse écrite qu’il a préparée et distribuée… sauf aux élus de l’opposition, regrette Daniel Vaillant tout confus.

La culture SEMAVIP

Une fois chacun en possession du texte de la question et du texte de la réponse, le débat permit non seulement à l’adjointe au Commerce de l’artisanat de réprimander la SEMAVIP et de séparer le projet de son appellation culturelle ; il lui permit aussi de révéler le véritable objectif de cet OVNI que serait « un centre culturel de la SEMAVIP ».

Cet objectif émerge des propos de l’adjointe au Commerce artisanal dans l’expression assurée de la volonté persistante des Mairies de Paris et du 18e de voir et de traiter la Goutte d’Or comme un quartier défavorisé dans son être, alors qu’il l’est dans leur regard et dans leur traitement.

Sans aucun préjugé à l’encontre du panel de sociétés censées porter le projet culturel de la SEMAVIP (voir en fin d’article), force est de noter, en effet, que les mots clés de l’adjointe à l’Artisanat commercial ont été ce lundi soir 30 janvier : « insertion », « formation », « ouverture sur le monde dans ce quartier-là », « qui en a fort besoin », « mixité ».

Rien sur la formation académique, les gammes, le solfège… L’adjoint à l’Urbanisme vint même à l’aide de sa collègue au Commerce artisanal pour souligner que ce serait un lieu de production culturelle, et non de création ou de représentation, un lieu de production (le mot est prononcé quatre fois dans la dernière minute du débat) avec un souci de rentabilité (d’où sans doute le vocable « entreprises culturelles » finalement retenu par la SEMAVIP) ; cela en marge des efforts revendiqués de la Mairie pour chercher et trouver un espace pour le CIM, centre d’information musicale et célèbre école de jazz et musiques actuelles dont la situation précaire en matière de logement devait pourtant retenir l’attention du Conseil d’arrondissement du 10 octobre 2011 (compte rendu, p. 26-27 et vidéo) pendant que la SEMAVIP montait son projet musical à elle (nous y revenons dans un prochain billet).

Menace de fourrière sur la culture (angle Myrha/Léon face à la friche culturelle de la SEMAVIP, février 2012)

Pauvre quartier, pauvre

Le quartier qui doit déjà – au grand dam des écoles d’architectures – se coltiner des immeubles bas de gamme vite dégradés et sortis de mêmes moules dès lors que les opérations d’aménagement sont confiées à des chefs de projet uniques – Thunauer au sud, TGT au nord – devrait donc voir, en outre, sa culture réduite à la mixité dont il est pourtant un fleuron internationalement reconnu depuis 150 ans, et s’entendre dire qu’il a besoin d’ouverture sur le monde quand cette ouverture sur le monde est précisément ce qui fait, depuis 150 ans aussi, son caractère.

La mixité seule et en tant qu’elle-même, l’ouverture sur le monde seule et en tant qu’elle-même, deviennent de vaines bouées culturelles si elles ne reposent sur aucune culture, justement, et notamment sur aucune autre culture qu’elles mêmes. Si les cultures multiples qui forment le quartier de la Goutte d’Or sont ignorées, par exemple :

  • la culture industrielle de l’époque Cavé/Stephenson (1850),
  • la culture migratoire provinciale et internationale de cette période de lotissement des faubourgs populaires de l’Est parisien (1860),
  • la culture Napoléon III qui offrait ses premiers logements sociaux à la capitale et s’illustrait en même temps dans la Question d’Orient et le Congrès de Paris réuni en 1856,
  • la culture Louise Michel qui, durant la Commune (1870-71), se battait dans le quartier, se réfugiait à l’église Saint Bernard et voyait mourir son compagnon Jaroslaw Dombrowski devant le 63 rue Myrha,
  • la culture Myrha, dont le nom vient du personnage mythologique Myrrha chanté par Ovide dans Les Métamorphoses (X, 298-518), avant que le logo métamorphose ne soit repris par la Mairie du 18e pour célébrer son emprise sur le patrimoine et promouvoir ses créations architecturales vite délabrées,
  • l’autre culture de Louise Michel qu’elle partagea ensuite, dans sa déportation en Nouvelle Calédonie, en alphabétisant les femmes kanaks et en soutenant la révolution du pays,
  • la culture internationale de l’époque des plumasseries Loddé qui commerçaient, dans les années 1870, avec la Compagnie universelle du Canal de Suez – universelle déjà, Madame l’adjointe -, avant de fournir les plumes du Moulin-Rouge,
  • la culture des années Gervaise et de L’Assommoir de Zola (1877), celle des années Mistinguett aussi (1875-1956), celle de Paul Eluard (1895-1952) qui chantait « son beau quartier » après la guerre,
  • la culture d’Aristide Bruant (1851-1925) qui créait la chanson « À la Goutte d’Or » reprise notamment par Georges Brassens et en 2008 au Gamin de Paris,

…si cette succession d’apports culturels ne faisait qu’un monde qu’on fustigerait au Conseil d’arrondissement pour n’être pas assez ouvert sur le monde, alors il manquerait peut-être une dimension culturelle aux projets culturels que la Mairie concocte, sous l’égide d’un maire qui met les rieurs de son côté, en lançant comme pour résumer : « La rue de la mode à la Goutte d’Or, on a trouvé ça pas mal, non ? ».

Fashion Goutte d’Or

« La rue de la mode », souvenons-nous !, « petite enclave fashion parmi les commerces populaires de Barbès » croit savoir le journal en ligne dixhuitinfo.com, autre OVNI à but provisoire et éducatif pour populations présumées incultes, dit plus sérieusement le blog La Goutte d’Or – Trésor caché de Paris Nord en montrant une succession de grilles fermées illustrant cette forte sentence : « Le but était d’aider de jeunes créateurs pour qu’ils puissent se développer avant de pouvoir ensuite s’installer ailleurs. Par rapport au quartier c’était aussi une manière de sensibiliser des populations qui n’ont pas forcément la culture de la mode » ; la rue de la mode « dont la majorité des immeubles du XIXe siècle ont été abattus en 1995 dans le cadre de la réhabilitation du quartier de la Goutte d’Or », précise Trésor caché, la rue de la mode donc n’existe plus vraiment en tant que telle au moment où le maire du 18e s’en souvient, comme semble le confirmer Sakina M’sa, fidèle pionnière qui tire vaillamment son épingle du jeu en faisant de son art « une structure d’insertion » et conduit « les femmes issues de l’immigration ou en difficulté sociale » dans les cours de couture du Petit Palais.

Le rue n’accueillit que très brièvement le café littéraire « Lectures gourmandes », local vite égaré dans les plans culturels à tiroirs multiples du quartier, aujourd’hui laissé à l’abandon comme à l’abandon est laissée la rue Boris Vian tout à côté.

« Lectures gourmandes » 9 février 2012. Paris Habitat affiche ses échecs culturels.

Vieux d’une quinzaine d’années à peine, l’angle Goutte d’Or/Gardes, ouverture sud de la malheureuse « rue de la mode », semble déjà destiné à une prochaine réhabilitation. Mais il est vrai que l’éphémère du 18e était dans le fruit : les créateurs ne s’installeraient pas rue des Gardes, ils ne feraient que miroiter une culture de la mode aux « populations » (Trésor caché semble avoir déjà intégré l’idée qu’il n’y avait plus d’habitant dans ce non lieu), populations qui seraient forcément étrangères à pareille culture.

Gardes/Polonceau. Ouverture Nord de la rue de la mode. « Petite enclave fashion parmi les commerces populaires de Barbès » (dixhuitinfo.com).

La pauvreté du débat municipal du 30 janvier 2012 qui révèle avec peine le laborieux montage du « centre culturel » de la SEMAVIP alors que le CIM cherche un espace depuis plusieurs mois et que le Lavoir Moderne Parisien est en danger (voir les communiqués de EELV et de Citizenjazz.com), cette pauvreté est comme réhaussée, pimentée, par l’évocation désespérée d’une rue de la mode elle-même dépassée en pieds d’immeubles dont les façades neuves ne sont déjà plus présentables, cette pauvreté est peut-être en lien avec le renoncement des décideurs politiques du quartier à l’esthétique, telle qu’il ressort des extraits du film de Sami Sarkis diffusés avec son aimable autorisation dans notre article « On égorge dans Paris et Paris l’ignore ».

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À étudier, mais pour l’immédiat et le futur proche de la parcelle Léon/Myrha, Cavé Goutte d’Or prépare une demande de décision du maire de Paris sur la question de savoir s’il entre dans la mission de la SEMAVIP, telle qu’elle est fixée par la Convention publique d’aménagement du 11 juin 2002, de faire passer des concours pour l’attribution d’un centre culturel.

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