Suspension

Le permis de construire de « l’opération Boris Vian » est suspendu par le Tribunal administratif de Paris

  • Dans une ordonnance du 10 mars 2021, la juge des référés a estimé qu’un doute sérieux sur la légalité du permis de construire était établi par les requérants, qui obtiennent ainsi gain de cause notamment sur le défaut d’avis conforme de l’ABF et d’accord de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation d’ouverture d’établissement recevant du public.
  • Dans son mémoire en défense, la Ville a pour sa part reconnu le bienfondé d’un autre moyen des requérants concernant l’absence d’autorisation pour la modification du TEP.

Sans légende (Photo CGO, Gironde, 15 mars 2021).

On se souvient que, déjà visés par deux recours en annulation, la délibération du Conseil de Paris du 11 décembre 2019 prononçant le déclassement de l’ancienne rue Boris Vian et le permis de construire du 19 août 2020 qui pensait pouvoir en découler étaient l’objet de deux référés demandant la suspension de leur exécution (notre billet du 21 février 2021).

L’un des deux référés, celui relatif au permis de construire accordé par la Ville à la société Pariseine le 19 août 2020, vient d’être jugé en faveur des requérants : l’association Cavé Goutte d’Or, regroupant plusieurs habitants et collectifs du quartier, et Monsieur Jean-Pierre Joussant, riverain du projet querellé.

« Un doute sérieux quant à la légalité
de la décision attaquée »

En application de l’article L.521-1 du code de justice administrative, « quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

Trois conditions sont donc posées : 1) le dépôt préalable d’une requête en annulation au fond (requête recevable, il s’entend) ; 2) l’urgence à suspendre l’exécution du permis avant que le caractère irréversible de la construction ne rende la suspension vaine ; 3) un moyen au moins est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité du permis attaqué.

En l’occurrence, les requérants avaient déposé un recours au fond contre le permis de construire en date du 20 octobre 2020, puis assorti leur requête d’une offre de médiation à laquelle la Ville de Paris n’a pas jugé opportun de répondre en dépit de la transmission officielle de cette offre par le Tribunal administratif à deux reprises, les 4 décembre 2020 et 21 janvier 2021 (voir l’historique dans notre page TEP Goutte d’Or).

Devant le silence de la Ville et l’engagement des travaux, ils ont déposé un référé suspension le 17 février 2021.

Après avoir tenté de contester la recevabilité d’un des requérants au motif qu’il ne justifierait pas du caractère régulier de l’occupation de son bien et l’urgence à suspendre le permis de construire au motif que l’urgence à le mener à bien devait prévaloir, l’avocat de la Ville s’est appliqué, dans un mémoire de vingt-huit pages, à écarter l’ensemble des moyens soulevés par les requérants. La société Pariseine s’est limitée à se ranger derrière la défense de la Ville.

Cavé Goutte d’Or et Jean-Pierre Joussant ont produit un mémoire en réplique le 8 mars 2021, et convaincu la juge des référés sur la recevabilité, sur l’urgence, sur le défaut d’accord de l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’ouverture d’établissement recevant du public et sur le défaut d’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France, dont les négligences sur le quartier ont déjà souvent été relevées par Cavé Goutte d’Or. (On se souvient que l’association, qui est à l’origine du classement de l’église Saint Bernard au titre des monuments historiques, a notamment dû intervenir sur des projets d’urbanisme concernant les 22-24 rue Cavé, 5-7 rue Myrha, 9 rue Myrha, 11 rue Saint Bruno, 13 rue Saint Luc,…).

« Il est constant que les deux avis de l’ABF (visés dans le permis de construire du 19 août 2020) ne retiennent pas que le projet est situé dans les abords de l’église Saint Bernard de la Chapelle, édifice classé situé à moins de cinq cents mètres (du projet) », pose la juge des référés qui écarte l’argument de la défense selon lequel l’ABF aurait corrigé cette défaillance en intervenant plus tard, sur un permis modificatif accordé le 12 février 2021 : « (Son nouvel avis) ne porte que sur les modifications du dessin de la façade à rez-de-chaussée du 12 rue de la Goutte d’Or et notamment pas sur la couverture du TEP dont l’adresse est le 9 rue Boris Vian », retient-elle des conclusions de Cavé Goutte d’Or et Jean-Pierre Joussant.

À l’appui de leur réplique du 8 mars, les requérants avaient produit un plan distinguant les deux permis et établissant qu’en donnant son avis dans le cadre de l’instruction du permis modificatif accordé le 12 février 2021, l’architecte des Bâtiments de France ne pouvait considérer qu’un élément du projet en contrebas de la construction autorisée, élément de façade étranger à toute préoccupation patrimoniale liée à la présence du monument historique :

Plan déposé par les requérants à l’appui de leur réplique. En rouge: les covisibilités MH non considérées par l’ABF dans le permis initial du 19 août 2020. En bleu: l’absence de covisibilité MH dans le permis modificatif du 12 février 2021 portant sur la façade du RDC sur la rue de la Goutte d’Or en contrebas de l’église Saint Bernard.

Et maintenant ?

L’ordonnance rendue le 10 mars 2021 par la juge des référés du Tribunal administratif de Paris suspend donc l’exécution du permis. Dans une vision étriquée de cette décision, la Ville pourrait se limiter à revoir sa copie sur deux éléments qui révèlent, pour le moins, sa légèreté dans ce qu’elle pourrait, toujours pour le moins, considérer comme des questions d’intendance (l’habilitation défaillante du signataire du permis, l’avis manquant de l’ABF). Dans une vision plus large et plus consciente des faiblesses du dossier – faiblesses du dossier que les requérants ne sont pas seuls à regretter (on pense notamment au Conseil citoyen du 18e issu de la Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine [Loi Lamy], qui soutient la proposition de médiation lancée par les requérants, et à l’association Action Barbès, dont nous avons déjà cité la critique sévère d’« une concertation déconcertante pour un projet déconcertant » dans son billet du 26 octobre 2020) –, la Ville pourra revoir l’ensemble du dossier à la lumière des moyens développés dans les recours avant que ceux-ci n’aboutissent à l’annulation requise.

Et prendre acte de la médiation proposée par les requérants, qui lui a été transmise à deux reprises déjà par le Tribunal administratif le 4 décembre 2020 et le 21 janvier 2021.

Deuxième transmission par le Tribunal administratif de la proposition de médiation des requérants. Capture d’écran du site Télérecours citoyens, 21 janvier 2021.

Force est d’ores et déjà d’observer que les recours engagés ont conduit la Ville à se contredire sur des arguments fondamentaux, et ce à un niveau politique et/ou décisionnel très important:

On se souvient en effet que, sur la levée des réserves du commissaire enquêteur, le rapporteur de la délibération du 11 décembre 2019 devant le Conseil de Paris, Monsieur Jacques Baudrier, alors conseiller délégué auprès de l’adjoint chargé de l’urbanisme, chargé des questions relatives aux constructions publiques, aux grands projets de renouvellement urbain et à l’architecture, aujourd’hui adjoint à la maire de Paris en charge de la construction publique, du suivi des chantiers, de la coordination des travaux sur l’espace public et de la transition écologique du bâti, avait spontanément reconnu qu’elles n’étaient pas levées à cette date puisque aussi bien il déclarait qu’elles l’étaient ou le seraient en temps utiles (comprendre : « pour l’obtention du permis de construire » [cf. Bulletin officiel de la Ville de Paris, séance des 9-12 décembre 2019, page 268]).

Aujourd’hui, c’est sur la dénaturation du TEP liée à la diminution de sa surface que la Ville se déjuge. Les requérants soutiennent en effet qu’il y a là une altération non autorisée d’un équipement sportif de la Ville de Paris. Sachant qu’aux termes de l’article L.312-3 du code du sport, « la suppression totale ou partielle d’un équipement sportif dont le financement a été assuré par une ou des personnes morales de droit public est sujette, comme la modification de son affectation, à une autorisation, elle-même subordonnée à la condition que l’équipement supprimé ou modifié soit remplacé par un équipement équivalent », ils notent que, dans son mémoire en défense du 1er mars 2021, la Ville ne conteste pas le fondement légal de ce moyen et le conforte au contraire en proposant, dans une relation de causalité expresse :  

« Ses dimensions (les dimensions du TEP) ne seront pas modifiées. Par conséquent, le projet porté par la société Pariseine n’avait pas à faire l’objet d’une autorisation spéciale au titre d’une modification de la destination du TEP, en application de l’article L.312-3 du code du sport ».

Il s’entend qu’a contrario, s’il était établi que les dimensions du TEP étaient modifiées, le projet devrait faire l’objet de l’autorisation requise. Or, la Ville elle-même pose que les dimensions du TEP sont modifiées par le projet et – « par conséquent » – que l’autorisation de l’article L.312-3 est requise. Dans une note circonstanciée que la Ville avait adressée au commissaire enquêteur, le 15 juillet 2019, son directeur de l’Urbanisme, Monsieur Claude PRALIAUD, indiquait en effet :

« Du fait du décalage du passage (Boris Vian) sur une partie du TEP, sa surface se retrouve effectivement réduite ».

Les autres moyens seront examinés sur le blog durant les prochaines semaines. Tous méritent une grande attention, notamment l’attention des riverains, des usagers du TEP et de l’espace public et, plus largement, des habitants du quartier qui peuvent aujourd’hui – « en l’état de l’instruction » pour le dire comme l’article L.521-1 du code de justice administrative – prendre toute la mesure de cette décision, une décision qui leur revient tant il est vrai que l’ordonnance du 10 mars 2021 est le fruit d’un travail d’équipe qu’il convient de saluer comme tel en prévision de son renforcement dans les suites qui pourront être données à ce dossier au cours des quelques semaines et mois qui viennent.

Du participatif au coopératif

Les habitants de la Goutte d’Or peuvent se réapproprier ce dont le défaut de concertation les a privés. Et, dans le prolongement de la « réunion d’information » du 9 octobre 2020 au gymnase de la Goutte d’Or (ici pour mémoire), opposer le sérieux au frivole, le coopératif au participatif, la coconstruction à la consultation.

Tout un programme, assurément, dont les lignes et perspectives émergent des échanges et partenariats qui ont pris corps et racines durant ces quelques mois autour d’un projet qui peut devenir ou redevenir central aux préoccupations réelles et actuelles du quartier.

> Lire en page défense du quartier : Un travail d’équipe (voyage dans les coulisses des recours et référés de Cavé Goutte d’Or).

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