Fronde participative

Belle mobilisation contre le projet d’accaparement municipal de la parcelle de l’école Saint Bernard

  • La Commission d’enquête sur la modification du PLU de Paris a bouclé les consultations du public vendredi 10 juillet à 17 heures.
  • La parcelle des 11 rue Saint Bruno, 6 rue Saint Luc et 7 rue Pierre L’Ermite occupe plusieurs pages du registre d’observations.
  • La Mairie du 18e elle-même se ravise et demande, cinq minutes avant la clôture, la suppression de la réserve (une démarche ambiguë et sans grande portée juridique).
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L’immeuble de l’école Saint Bernard pastillé LI 60-60. Extrait des plans joints au projet de modification du PLU.

Notre billet du 5 juillet 2015 aurait-il « levé un lièvre », pour le dire comme Chez Les Libraires Associés ?

Il semble avoir en tout cas suscité les réactions qui convenaient là où il convenait : en une petite semaine de cinq jours, les réseaux sociaux d’abord, puis les institutions, le conseil de quartier, les parents d’élèves, les riverains se sont inquiétés d’une réserve au PLU pour des logements intermédiaires sur la parcelle occupée par l’école Saint Bernard et la paroisse de l’église Saint Bernard.

Dès dimanche soir 5 juillet, le billet posté et tweeté par Cavé Goutte d’Or était vu cent vingt sept fois. Le lendemain matin, le gazouilleur Jean-Raphaël Bourge (un peu plus de 1.300 abonnés sur tweeter, représentant d’Action Barbès au conseil de quartier Château Rouge/Goutte d’Or, par ailleurs auteur du blog du 28 rue Affre) retweetait l’information et se demandait si la Mairie avait « des vues sur l’école Saint Bernard ? ».

Quelques tweets et retweets plus tard, avec l’engagement très efficace d’une habitante du quartier, les élus étaient saisis de la question : «Est-ce la volonté de @mairie18paris ?».

Après soixante-cinq nouvelles lectures de notre billet mardi 7 juillet (on reste dans des chiffres modestes), vinrent les observations déposées devant la Commission d’enquête publique le 9 par le curé de la paroisse Saint Bernard, par le président de l’OGEC gérant l’école Saint Bernard et par la communauté de l’école, le 10 par le conseil de quartier et Cavé Goutte d’Or, toutes ciblant parfaitement les enjeux sociaux, culturels, patrimoniaux, politiques – sans omettre les enjeux juridiques en soulignant le partage des intérêts généraux, Cavé Goutte d’Or dénonçant pour sa part l’absence d’intérêt général dans la confiscation de cette parcelle pour la création de logements intermédiaires (notre billet du 10 juillet).

Un contexte juridique aussi

Car, si les enjeux sociaux, culturels, scolaires ou patrimoniaux sont évidents sur ce dossier, le contexte est aussi très juridique puisque la création et l’inscription au PLU d’un « emplacement réservé », sorte de préemption ou d’expropriation partielle, doit être motivée juridiquement par le critère d’utilité publique.

L’article L.123-2 b du code de l’urbanisme pose en effet cette condition en statuant que le PLU « peut instituer des servitudes consistant (…) à réserver des emplacements en vue de la réalisation, dans le respect des objectifs de mixité sociale, de programmes de logements qu’il définit ».

Il faut donc que l’objectif de mixité sociale soit avéré. L’institution des « emplacements réservés » est soumise au contrôle du juge au regard de l’objet légal fixé par les textes. L’excès de pouvoir et l’erreur manifeste d’appréciation viendront ainsi tempérer, au besoin, l’autorité quasi-discrétionnaire que d’aucuns voudraient voir reconnue aux municipalités en matière de PLU.

Dans ses observations du 9 juillet 2015 à la Commission d’enquête, consignées au registre consulté en Mairie du 18e le 10 juillet 2015, le père Livio Pegoraro, curé de la paroisse Saint Bernard de la Chapelle, se garde de contester l’objectif d’intérêt général de la réserve, mais il observe que cet objectif ne peut être réalisé « au détriment de la poursuite d’autres missions d’intérêt public », dont celle remplie par l’école Saint Bernard ; cela d’autant, souligne-t-il, qu’« il existe certainement nombre d’autres ensembles immobiliers pouvant faire l’objet d’emplacements réservés destinés à la réalisation de logements intermédiaires ».

Le président de l’OGEC gérant l’école Saint Bernard évoque, pour sa part, « l’intérêt général indéniable » que représentent « les possibilités de restructuration et d’extension de l’école » en estimant que « la servitude qui vient les obérer paraît injustifiée ». Et de souligner avec force l’atteinte de la réserve aux critères mêmes sur lesquels elle voudrait reposer puisque aussi bien, relève-t-il des objectifs du projet soumis à enquête publique, « l’identification de nouveaux emplacements réservés a impliqué l’examen de l’ensemble des parcelles du territoire couvert par le PLU » et que, des parcelles identifiées, « ont été éliminées à ce stade, sauf exceptions justifiées, les parcelles occupées par des équipements structurants et des espaces verts » (cf. Rapport de présentation de la modification du PLU, page 25, [page 31 du pdf]).

Équipement structurant,
patrimoine culturel

« Sauf à conclure qu’un établissement scolaire sous contrat d’association n’est pas un équipement structurant à l’échelle de la Ville, on peine à comprendre pourquoi le terrain précité est concerné », écrit le président de l’OGEC Alain Duval dans ses observations du 9 juillet 2015 aux membres de la Commission d’enquête.

Également consigné dans le registre de la Commission d’enquête, le témoignage d’une « habitante du quartier depuis onze ans, mère d’une élève de primaire scolarisée à Saint Bernard Sainte Marie » met en lumière l’atteinte que la modification du PLU pourrait présenter tant pour l’école Saint Bernard que pour le quartier de la Goutte d’Or, l’une étant « essentielle à la vie, à l’harmonie et à la diversité » de l’autre. Nourries de plusieurs études et références scientifiques sur le quartier, ses observations présentent l’école comme un « patrimoine historique, social, éducatif et culturel » dont l’extension nécessaire serait compromise par la servitude que la Mairie voudrait voir inscrite au PLU alors que « le permis de construire (après modifications suite à plusieurs recours émanant de l’association Cavé Goutte d’Or) a été accordé en avril 2015 ».

À notre connaissance, le dernier permis de construire actuellement objet d’un recours n’apportait aucune modification au précédent (qui n’avait lui-même fait l’objet que d’un seul recours de l’association citée), mais le débat n’est plus là puisque Cavé Goutte d’Or a rappelé que, parallèlement à son opposition au projet dont l’aspect avait déjà été rejeté par le maire de Paris en mars 2012 (lien), elle avait toujours « relayé la réalité des besoins d’extension de l’école » et qu’elle travaillait aujourd’hui à « réunir divers acteurs et compétences autour de projets alternatifs consistant à construire sur cette parcelle autrement que les projets rejetés ou contestés ne le prévoient, de façon à maintenir libre de toute construction l’espace non bâti au cœur des immeubles existants » (Observations du 10 juillet 2015 à la Commission d’enquête).

Chez les libraires voisins

chez les libraires

Le logo de la librairie, vignette de Lucien Laforge pour son Kamasoutra, 1924.

La page facebok de Chez les libraires associés, riverains de la rue Pierre L’Ermite et voisins de l’école, apporte sa contribution au débat ce 11 juillet 2015 en postant les lignes reproduites ci-dessous, aimées par au moins vingt-trois amis au moment où nous mettons nous-mêmes ce billet en ligne.

« Au bout de notre rue, face à l’église Saint-Bernard, se trouve une petite école privée catholique. C’est un vrai lieu de vie et de mixité (les élèves sont de diverses origines et confessions), et les habitants du quartier y sont très attachés.

Figurez-vous que la mairie de Paris entend classer cette parcelle, ainsi que la suivante où se trouvent les locaux de la paroisse (N.B. de Cavé : il s’agit d’une seule parcelle), comme terrains à préempter pour y construire des logements sociaux (enfin, pas des vrais logements sociaux, mais des logements « intermédiaires », réservés à des gens aux revenus très corrects).

Dans le même temps, certaines des parcelles préemptées dans le quartier il y a dix ou vingt ans par la Ville sont toujours à l’abandon (habitants expulsés et bâtiments anciens rasés), des chantiers sont arrêtés, etc. Et le bilan de trente ans de rénovation urbaine à marche forcée, à coup de centaines de millions d’euros, est pour le moins mitigé.

Le projet semble avoir peu de chances d’aboutir, pour de multiples raisons (entre autres parce qu’il s’agit d’un site protégé au titre des monuments historiques) ; l’association qui a soulevé le lièvre a déjà déposé un recours.

Mais on se perd en conjectures sur les motivations de cette hallucinante décision : inquiétant « bug » administratif ? Mégalomanie d’aménageurs qui veulent attaquer le dernier secteur qu’ils n’ont pas encore saccagé ? Haine des « dents creuses » et des espaces de respiration urbaine ? Sombre affaire d’intérêts immobiliers (c’est un emplacement « en or », appelé à prendre de la valeur) ? Moyen de pression politique sur une paroisse frondeuse, connue pour son soutien aux sans-papiers…?

Rien de tout cela, espère-t-on ».

Lire aussi en page Défense du quartier : Devant le tollé, la municipalité du 18e dépose une demande de retrait de la réserve. Un acte sans doute un peu politique, et sans grande portée juridique, compte tenu de la voix consultative des mairies d’arrondissements.

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