Vœux

La Goutte d’Or bientôt libérée de ses casseurs ?

  • Retour sur une image de fin d’année pour souhaiter en 2021 la fin du cycle qui casse et recasse inlassablement la Goutte d’Or depuis 40 ans.

Photo CGO 17 décembre 2020 : Derrière la vitre fracassée, au-delà des éclats de l’agression subie par la Bibliothèque municipale de la nouvelle Goutte d’Or, une vue de l’ancienne Goutte d’Or dont une étude de François Loyer pour l’APUR préconisait la protection patrimoniale en 1980. Un symbole sur lequel nos lecteurs pardonneront le photographe de Cavé Goutte d’Or de s’être attardé un instant (non sans risque car les reportages sur site sont en effet dangereux). Zoom sur la photo derrière la vitre cassée.

On se souvient que la Bibliothèque municipale de la Goutte d’Or a subi en fin d’année, par deux fois à la mi-novembre et à la mi-décembre 2020, de violentes agressions. Un établissement municipal, lieu de culture et d’éducation, est ainsi devenu la cible de ces crimes et délits qui maintiennent le quartier dans l’insécurité et la discrimination installées par et/ou malgré la politique de la ville depuis plusieurs décennies.

On sait que ce constat n’incrimine pas en lui-même la Ville : la « politique de la ville » (expression spécifique qui désigne la politique menée pour la ville, notamment envers ses quartiers défavorisés) n’est pas, en effet, la « politique de la Ville » (expression générale pour toute politique menée par la ville, entité et collectivité publique appelée indistinctement Ville, Mairie, Municipalité et portant alors la majuscule de l’institution).

On observe enfin que, si d’aucuns ont pu voir dans l’agression de la Bibliothèque municipale un point de départ (départ de l’intolérable), d’autres ont rappelé qu’il s’agissait d’une suite logique de la criminalité qui sévit dans le quartier depuis longtemps, – comme l’ont au demeurant bien posé les employés de la bibliothèque eux-mêmes en dénonçant, le 17 novembre 2020, « une montée de la délinquance et de la violence liée aux nombreux trafics qui se sont installés au fil du temps » (lire le communiqué sur le site du Conseil citoyen de Paris 18).

Installation, maître mot

Dans la Goutte d’Or, l’intolérable remonte en tout cas à l’origine du crime qui y est toléré, sinon mis en place, installé là pour qu’il ne soit ailleurs, – comme n’ont pas manqué de le noter tous ceux qui en ont profité, « au fil du temps » en effet. Récemment missionnée par la Mairie de Paris, l’association Trajectoires ne soulignait-elle pas, en 2018, « l’attrait » de la Goutte d’Or et de la Chapelle qui offraient les conditions d’un « ancrage dans l’errance ».

La maire de Paris évoquait elle-même, dans sa fameuse lettre du 5 avril 2018 au premier ministre, les « réseaux de délinquance organisés déjà installés sur le secteur et très actifs », « la spirale dans laquelle ces jeunes (les jeunes marocains, NDLR) sombrent sous l’emprise de délinquants majeurs implantés de plus longue date et qui les exploitent ».

« Des réseaux de délinquance organisés déjà installés sur le secteur et très actifs » (Anne Hidalgo à Édouard Philippe, 5 avril 2018). Une situation dont le quartier sait sourire comme en témoignent les logos détournés ci-dessus (T-shirts en vente à l’Échomusée, 21 rue Cavé).

Ce temps dépasse sans doute les quarante ans de zonage que nous prenons régulièrement comme mesure sur ces pages. Mais, depuis en tout cas l’institution d’une zone sensible à la Goutte d’Or au début des années 1980, la politique de la ville se confond avec la politique de la Ville. Il parait alors vain de s’abriter derrière les rivalités d’impuissances dans lesquelles s’enferment la Ville et l’État.

Les deux – Ville et État – ont suffisamment œuvré de concert et de conserve, d’un accord commun et négocié, uni et surveillé, pour détruire volontairement un quartier dont ils ont volontairement ignoré l’histoire et le patrimoine, souvenons-nous, pour que les habitants de la Goutte d’Or se laissent entraîner encore dans la dispute feinte sur les prétendus pouvoirs régaliens non partagés.

Pouvoirs régaliens

Un passage de la lettre ouverte que la Bibliothèque municipale de la Goutte d’Or a écrite au président de la République le 16 décembre 2020 se réfère expressément à l’expression : « Nous nous adressons à vous car il s’agit de crimes et de délits qui relèvent des pouvoirs régaliens de l’État : police et justice notamment » (lire la lettre sur le blog d’Action Barbès).

Peu avant, l’Inter-asso, collectif d’associations pour la plupart municipalisées de la Goutte d’Or, s’était lui aussi adressé au président de la République et avait lui aussi mis le doigt sur la responsabilité de l’exécutif national : « Malgré tous ces constats et le découragement qui s’installe parfois, nous ne sommes pas résignés à voir la situation perdurer et s’aggraver. Nous sommes mobilisés et attendons de l’État qu’il joue son rôle pour y mettre fin » (lire la lettre sur le site de Goutte d’Or et vous).

Selon une indiscrétion du Conseil citoyen de Paris 18, qui publie également la lettre sur son site, c’est « après une réunion avec le maire et ses adjoints que (l’Inter-asso) a décidé d’envoyer un courrier à l’État, au président de la République, au premier ministre et aux ministres potentiellement concernés ainsi qu’au Préfet de Police de Paris » (voir le site du CCP18). Précision amusante, même si l’on imagine mal que ce puisse être après une réunion avec le président de la République que les associations municipalisées de la Goutte d’Or décident d’envoyer un courrier à la maire de Paris et au maire du 18e arrondissement pour les enjoindre à « jouer leurs rôles ».

Très en pointe sur la sécurité du quartier, l’association Action Barbès, dont nous avons récemment noté l’engagement aux côtés de la future police municipale (voir « Splash-info », notre billet du 24 octobre 2020), semble elle-même penser que c’est l’État qui a la main en la matière : « La Préfecture de police semble avoir abandonné ce quartier et nous devons déplorer une augmentation incessante de l’insécurité sur ce secteur », observe-t-elle sur son blog le 15 décembre 2020 sous l’intertitre « Mais que fait la police ? ». « Au centre de la ZSP 10-18 – un dispositif qui semble avoir vécu – le secteur Barbès-Goutte d’Or Sud est sans aucun doute celui qui concentre le plus de problèmes liés à l’insécurité », poursuit-elle. « La liste des trafics, crimes et délits y est interminable : vente de cigarette de contrebande, deal de drogues en tout genre, recel (de téléphone, vélos, bijoux…), vols à l’arrachée, vols/agressions avec violence/armes, menaces sur les commerçants et habitants, prostitution dans les communs des immeubles, règlements de comptes sanglants, vente de faux-permis… (des crimes et délits qui relèvent tous de la Police nationale NDLR) ».

« Le tout avec un commissariat de la Police judiciaire en son centre ! », ironise Action Barbès qui conclut : « Nous sommes en droit de (nous) demander pourquoi le Ministère de l’Intérieur ne veut, ou ne peut pas, assurer la sécurité dans ce quartier de Paris, pourquoi on abandonne des habitants, des travailleurs et des commerçants à leur triste sort » (Blog d’Action Barbès, 15 décembre 2020).

Changer de logiciel

Et si ce n’était pas (ou pas que) une question de sécurité ? Pas (ou pas que) une question de police(s) ? Si, pour passer du Zola de L’Assommoir au Zola de L’Aurore, de Gervaise à J’accuse, on partait de ce soi-disant « triste sort » pour enfin s’en détacher une bonne fois ?

Si, dans les domaines qui lui sont très largement régaliens à elle, la Ville avait elle aussi – peut-être même elle d’abord – abandonné la Goutte d’Or, et plus largement ses quartiers Nord-Est, ses « quartiers pauvres » pour le dire comme le Monde, ses « quartiers maltraités », comme les désignait parfaitement Le 18e du mois il y a deux ans et demi déjà ? Abandonné la Goutte d’Or au misérabilisme de sa politique sociale et culturelle ? À la violence de son urbanisme méprisant (ce n’est ni le préfet de Police ni le ministre de l’Intérieur qui ont opposé effort architectural et logement social, mais le responsable local et municipal de l’Urbanisme de 2001 à 2020) ? À l’inculture de sa Direction des Affaires culturelles qui, sur une place qui « peut être perçue comme anxiogène et porteuse d’un sentiment d’insécurité auprès des résidents et des passants » (la place Polonceau que quelques résistants venaient d’investir dans une tentative de démocratie directe, NDLR), voulut inaugurer une fresque qui aurait eu pour objectif le « ré-enchantement » des lieux en « apportant couleurs et poésie», en offrant « une place éclatante et chaleureuse, pleine de nuance et de possibles, afin d’y restaurer de la convivialité et de la sécurité et de rendre hommage aux habitants (du) quartier avec une œuvre qui leur ressemble et les rassemble » (lire la déclaration préalable de travaux rédigée par la Direction des Affaires culturelles de la Mairie de Paris).

Ces propos mécaniques et creux, dont les Mairies de Paris et du 18e semblent avoir le secret (on se souvient des « couleurs éclatantes » que Carine Rolland voulait jeter sur les trottoirs du quartier au motif que quelques prétendus ‘votants’ au budget participatif l’auraient voulu avant elle), ces projets sans audace ni ambition dont elles semblent se régaler et régaler la galerie, soutenus par une communication vide qui s’impose à coup d’antithèses du type « Embellir Paris » pour l’enlaidir, « Tous mobilisés » pour masquer l’absence de soutien, « quartiers populaires » pour déguiser les quartiers défavorisés, ces « dégradations de l’environnement urbain » constatées par la première magistrate de la Ville finissent par creuser elles aussi le sillon de l’insécurité. Peut-être autant, peut-être plus, que le manque d’effectifs policiers, la politique socio-culturelle que la Ville de Paris impose à la Goutte d’Or en vient à créer, comme par acculturation, les conditions d’un état de non-droit. Le mépris n’entraîne pas le respect.

Si Cavé Goutte d’Or devait à son tour écrire une lettre ouverte, elle ne l’écrirait pas au président de la République ou à la maire de Paris qui ont déjà tout dit, à leur façon, sur « le pognon de dingue » mis dans « la dégradation de l’environnement urbain ». Elle l’écrirait aux habitants de la Goutte d’Or, cible première de la politique de la ville, partenaires premiers du contrat de ville, pour les encourager à libérer le quartier de la bienveillance humanitaire qui le détruit et à jouer vraiment et directement, sans entrave et sans intermédiaire, la carte de la loi dite de programmation pour la ville et la cohésion urbaine qui est censée les aider à en sortir. Une chance pour jouer cette carte, le contrat de ville 2015-2020 a été prorogé de deux ans.

> Lire notre billet « 2021-2022 : La fin des ‘quartiers populaires’ ».

> Lire aussi, en page TEP Goutte d’Or : « Le Tribunal administratif invite la Mairie de Paris et Pariseine à répondre à l’offre de médiation des opposants aux permis de démolir et de construire sur le secteur Boris Vian, Polonceau, Goutte d’Or ». Un délai au 4 janvier leur était donné.

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