« Réhabilitation de la Goutte d’Or »

Chirac et Jospin n’ont pas porté plainte

Accusés récemment par une officine à la solde d’habitants pas riches d’un quartier guère plus du 18e arrondissement de Paris d’avoir, pas même secrètement, négocié la mise à sac de la Goutte d’Or, Jacques Chirac et Lionel Jospin n’ont pas porté plainte, pas encore en tout cas au moment où nous mettons sous presse. 

Média à part

L’accord Chirac-Jospin, pourtant reconnu par ses protagonistes à la face de millions de téléspectateurs électeurs lors du débat d’entre deux tours de 1995, n’a pas eu l’honneur des médias, ni au moment de sa diffusion (Libération restant très vague, le lendemain, sur le contenu du pacte) ni au moment où, il y a deux mois et demi, Cavé Goutte d’Or l’a sorti des archives encore disponibles sur cette trouble période (Voir sur le blog : « Cohabitation précoce à la Goutte d’Or »).

Le document de 1995 fait état d’une conversation de 1983 de laquelle il ressort clairement que Lionel Jospin, alors figure montante du PS dont il dirigeait le parti depuis deux ans, a vendu à Jacques Chirac, alors patron du RPR qui tenait la Mairie de Paris, le « projet de réhabilitation de la Goutte d’Or », nom de code pour une association État-Ville sur le partage des rôles.

Le « Plan de réhabilitation de la Goutte d’Or »
au cœur d’un « entretien particulier ».

On se souvient, pour faire court, que Jacques Chirac voulait alors tout raser pour construire à la 13ème un nouveau quartier haut de tours, et qu’Alain Juppé, son adjoint aux Finances de la Mairie de Paris, élu du 18e remplacé à la Mairie d’arrondissement par Roger Chinaud, a empêché le désastre, Lionel Jospin enfonçant le coin jusque dans le bureau de Chirac pour « (lui) proposer le plan de réhabilitation de la Goutte d’Or » :

– Jospin : « Je suis venu vous voir dans votre bureau – c’est la seule fois où vous m’avez reçu, mais c’était la seule fois d’ailleurs où je vous avais demandé un entretien particulier – pour vous proposer le plan de réhabilitation de la Goutte d’Or ».
– Chirac : « Oui, la Goutte d’Or, c’est vrai… ».
– Jospin : « Alors, quand même… ».
– Chirac : « … un plan que nous avons fait… ».
– Jospin : « … qui a débouché grâce à l’obstination de Daniel Vaillant, mon suppléant, actuel député de la Goutte d’Or … ».
– Chirac : « Publicité gratuite ! ».
– Jospin : « Oui, mais c’est vrai ».

Le mythe décisif

On sait, depuis, que « Plan de réhabilitation de la Goutte d’Or » signifie enfermement de la Goutte d’Or en ZUS à perpétuité, histoire de maintenir le quartier sous cloche et de permettre à la Ville de Paris de se l’approprier pour mieux le contrôler. Les opérations immobilières confiées à des opérateurs immobiliers sans scrupules qui agissent depuis 1983 sous couvert de résorption de l’habitat insalubre, d’utilité publique et de construction de prétendus « logements sociaux » ont entraîné en effet une municipalisation du territoire, au sens où l’on parlerait ailleurs de nationalisation. L’extrait cadastral ci-dessous montre le mécanisme : les « bailleurs sociaux » municipaux (par opposition aux bailleurs sociaux privés) blanchissent littéralement le cadastre parisien, fabriquent des îlots fictifs de propriété unique. 

La Goutte d’Or n’appartient plus à des gens, et notamment plus à ses habitants ; elle appartient à des SEM et à de prétendus « bailleurs sociaux » qui construisent tellement n’importe quoi, dans un but tellement contraire au « social » revendiqué, que leurs terrains – parfois bien mal acquis : sous la pression de grilles d’analyses bien opportunes (ensuite contestées) ou en maintenant leurs proies en mauvais état et aux intempéries pour les faire consacrer non réhabilitables (24 Cavé, 25 Stephenson, 7 Myrha, bientôt 5 Myrha ?) – s’enfoncent dans la ZUS quand – de même que le RSA est fait pour en sortir – la ZUS doit être un état provisoire destiné à quitter l’appellation.

Appellation contrôlée

Or, entre les présidentielles de dimanche et les municipales de 2014, la Goutte d’Or célébrera trente ans d’emprisonnement dans une réhabilitation perpétuelle qui l’aura maintenue en ZUS, pieds et poings liés à la Ville et à l’État, à la « politique de la Ville » de l’État – on se souvient, ici, du préfet de Paris prenant à contre emploi fait et cause pour l’urbanisme d’Hidalgo et le logement de Mano – au point d’être encore désignée aujourd’hui comme quartier défavorisé : « La Goutte d’Or figure depuis 1984 parmi les quartiers inscrits dans les dispositifs de la politique de la ville », indique le rapport 2007 de l’Observatoire des quartiers parisiens émanant de l’Atelier Parisien de l’Urbanisme (APUR) et de la Délégation de la Politique de la Ville et de l’Intégration (DPVI), rapport qui « comprend un ensemble de données, d’indicateurs et d’analyses permettant de mieux appréhender la réalité et les évolutions des quartiers de la Politique de la ville » (voir Rapport 2007-1, p. 36-37).

Après vingt-trois ans de ZUS ou autres sigles de prétendue protection, « la Goutte d’Or fait partie des quartiers prioritaires aux indicateurs de précarité les plus élevés », observe l’Observatoire. « Les ménages vivant sous le seuil de pauvreté sont près de trois fois plus présents (au moins sont-ils présents, NDLR) dans le périmètre qu’à l’échelle parisienne (26% contre 10% à Paris). Le retard scolaire concerne une forte proportion d’enfants du secteur. Le sentiment d’insécurité, lié notamment à la présence de toxicomanes, est particulièrement répandu ».

Même là où devait se développer le plan Chirac-Jospin censé en 1983 « réhabiliter la Goutte d’Or », c’est un échec, si l’on en croit l’Observatoire, qui poursuit vingt-trois ans plus tard : « Le quartier se caractérise par un parc de logements anciens et dégradés ».

Alors de deux choses l’une :

  • soit les observateurs de l’Observatoire ont observé que les immeubles tout pourris de l’opération Goutte d’Or Sud des années 1983-2000 (photo ci-dessus, extraite de la demande d’audit de Cavé Goutte d’Or de mars 2011) – opération de cohabitation Chirac-Jospin / Juppé-Vaillant – devaient déjà être rangés dans le parc de logements dégradés, sinon encore anciens ;
  • soit le parc de logements s’est agrandi au fil des opérations de prétendue « réhabilitation », englobant Château Rouge et le secteur Émile Duployé plus au Nord, livrés aux démolisseurs dans les années 2000-2010, sous la seule maîtrise de la gauche depuis que Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris et Daniel Vaillant à celle du 18e dirigent ensemble le quartier sans aucun contrôle, ni de l’État (lire et relire la lettre du préfet précitée), ni de la droite (pour un récapitulatif du silence ou de l’absence de suivi infligés à cette situation par les dirigeants de l’UMP que Cavé Goutte d’Or a sollicités depuis un an, voir sur le blog).    

À qui profite la ZUS ?

Viens boire un verre à l'Olympic !

En 2010, l’Observatoire rappelle l’origine du long processus de la dégradation perpétuelle. « Constatant la poursuite de la dégradation des quartiers, l’État a voulu donner, dans les années 1990, une nouvelle dimension à la politique de la ville. Le « développement social urbain » (DSU) se substitue donc, en 1989, au « développement social des quartiers » (DSQ) ». En d’autres termes : « DSQ ne fait plus partie de la campagne et ne s’occupe plus de l’habitat salubre ». Un ministre de la Ville est nommé, Michel Delebarre d’abord, Bernard Tapie ensuite, les ZUS s’installent plus tard entre CUCS et GPRU (« Contrat urbain de cohésion sociale » et « Grand projet de renouvellement urbain »).

Et cette semaine, le maire de Paris jette une lumière encore plus crue sur les ZUS dont François Hollande voudrait supprimer le nom, seulement le nom. Dans les coulisses de Bercy et au micro de Ruth Elkrieff pour BFM-TV, ce dimanche de meeting 29 avril 2012, Bertrand Delanoë se félicite d’un Paris passé à gauche pour les présidentielles (34,83% contre 32,19%) et salue les scores obtenus par François Hollande dans les ZUS : « Jusqu’à 43% dans les quartiers difficiles, défavorisés, où les gens souffrent », s’enorgueillit le maire de Paris qui vise notamment la Goutte d’Or où Hollande est en effet à 43,03% sur dix candidats (voir détails ci-dessous) et en oublie jusqu’à la « souffrance difficile » sur laquelle il fonde pourtant expressément son enthousiaste propos. « Dans le 16e, il atteint à peine 14% », relève encore le maire qui conclut : « C’est donc qu’il y a aussi un vote social ».

Dont acte

Le vote social est-il au vote ce que l’habitat social est à l’habitat ? ou à la démocratie ce que le logement social est à l’urbanisme ? Le vote d’un quartier où, on l’a lu il y a une seconde, « les ménages vivant sous le seuil de pauvreté sont près de trois fois plus présents qu’à l’échelle parisienne, (où)  le retard scolaire concerne une forte proportion d’enfants (et où) le sentiment d’insécurité, lié notamment à la présence de toxicomanes, est particulièrement répandu », ce vote est-il entretenu ?

Crédit photo : abaca.

Il y a longtemps que la question est posée dans les universités, par les chercheurs qui observent la relation de patronage installée par le logeur avec ses logés, depuis les débuts des logements aidés (appelés alors « à bon marché ») construits par les philanthropes au milieu du XIXe siècle jusqu’à la formule « sociale » en vigueur aujourd’hui en passant par la période industrielle où les patrons logeaient leurs ouvriers près de l’usine.

Les philanthropes ont été remplacés par les patrons puis par les partis et les experts observent une forme de captation, d’appropriation de la « société logée » par la « société logeuse », l’outil de contrôle passant au fil du temps de la force de travail à la force du vote, l’objet du contrôle restant la société logée qui n’aurait ainsi toujours pas gagné « sa liberté d’habiter » ou le pouvoir de « se dégager des forces qui la logent », comme le constataient il y a trente – toujours nos trente ans – Rémy Butler et Patrice Noisette dans Le logement social en France 1815-1981. De la cité ouvrière au grand ensemble (Maspéro, 1982, p.7-8).

Goutte d’Or, pour qui votait-on ?

Pour le premier tour des élections présidentielles, les votes du 18e se sont portés sur François Hollande à 43,03% et Nicolas Sarkozy à 19,47%. En troisième position arrivait Jean-Luc Mélenchon (15,34%) ; la quatrième place était dévolue loin derrière à François Bayrou (7,74%) , Marine Le Pen n’était que cinquième, dépassant à peine Eva Joly (6,57 contre 5,41). La Goutte d’Or et La Chapelle, les deux quartiers Est sur lesquels Cavé Goutte d’Or porte plus particulièrement son attention, renforcent clairement ces chiffres : Hollande atteint respectivement 48,9% à la Goutte d’Or et 45,3% à la Chapelle ; Sarkozy descend à 12,5% et 15,2% et cède la deuxième place à Mélenchon (19% et 17,6%), Le Pen occupe la quatrième avec 6,1% à la Goutte d’Or et 7,8% à la Chapelle (pour le détail par bureaux de vote, voir le journal en ligne dixhuitinfo).

Pour mémoire, « le vote à gauche est majoritaire dans le 18e, avec 72% aux élections municipales de mars 2008 », indiquent dans leurs Promenades sociologiques (2009) Michel Pinçon et Monique Pinçot-Charlot, par ailleurs auteurs à succès de Les ghettos du Gotha : comment la bourgeoisie défend ses espaces (2007). « Les bureaux relevant de la Goutte d’Or ont presque atteint les 80% en faveur de Daniel Vaillant (PS), Roxane Decorte (UMP) plafonnant à moins de 20% », précisent-ils. Devant le bonheur de Bertrand Delanoë à saluer le taux élevé des votes en faveur de François Hollande « dans les quartiers difficiles où les gens souffrent », en l’occurrence dans la Goutte d’Or d’où est issue la bande des quatre (Jospin, Estier, Vaillant, Delanoë) et qui est dirigée depuis dix-sept ans par le PS, on attend que les Pinçon-Charlot nous livrent Le Ghota des ghettos.

Angle Léon/Laghouat, 30 avril 2012 (Photo CGO).

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