Requalification

La place Polonceau change de nom

  • Située entre les rues de la Goutte d’Or et Polonceau, la « place Polonceau », connue comme un haut lieu de deal à ciel ouvert, a acquis une renommée parallèle plus honorable grâce à la mobilisation civique des habitants depuis le 27 mars 2018, largement récupérée depuis, notamment par la Mairie de Paris et ses opérations de mobilisation fictive.
  • La voilà désormais nommée « place Cheikha Remitti », en hommage à la célèbre chanteuse de raï qui « animait les soirées des cafés communautaires de la Goutte d’Or », précise l’exposé des motifs de la délibération votée vendredi au Conseil de Paris.   

La ci-devant très citoyenne place Polonceau, désormais place Cheikha Remitti. Visuel doublement emprunté présentant avec difficulté l’improbable couverture du TEP Polonceau, d’une part, et emprunté au sens du copyright qui lui est dû au slides du projet officiel de la Ville de Paris, d’autre part, un projet dont Christophe Girard assure qu’il est toujours en concertation en vue d’en affiner la réflexion (lire le billet ci-dessous).

Le secteur Boris Vian/Polonceau/Goutte d’Or a eu son quart d’heure de célébrité lors du Conseil de Paris, ce vendredi 15 novembre 2019 entre 9  h 30 et 9 h 45. Étrangement, ce regain d’attention n’était pas dû au projet de requalification urbaine qui est aujourd’hui en ballotage défavorable entre le commissaire enquêteur, qui demande quatre mois de concertation supplémentaire, la SPL Pariseine, qui tente de faire valoir un permis de démolir demandé et obtenu avant même l’ouverture de la nouvelle concertation, et la Ville de Paris qui en est à près de 800.000 € de dédommagements intempestifs pour résilier les baux aussi précocement que la SPL, encore elle, lance un appel d’offre pour assistance à maîtrise d’ouvrage (sur l’immaturité précoce du projet Pariseine, lire notre billet à paraître « Les dommages collatéraux de l’opération Polonceau »).

La prise de la place Polonceau par les habitants de la Goutte d’Or depuis le 27 mars 2018 et, ici, la création du Café Polonceau le 30 juin 2018.

Si, du côté de l’urbanisme sinistré à la Goutte d’Or, les jeux sont donc loin d’être faits (voir aussi notre billet du 11 novembre 2019 intitulé « Détournement »), force est d’observer que, du côté de sa vie culturelle foisonnante, la Goutte d’Or avait la main au dernier Conseil de Paris. Au point que Christophe Girard n’a manqué aucune des occasions qui lui étaient données, vendredi matin 15 novembre 2019, de célébrer un quartier tout à la fois populaire et prioritaire à travers les délibérations qui, dans un tourbillon culturel inédit, lui permirent de saluer tour à tour le Lavoir moderne parisien et la Compagnie Graines de soleil (délibération 2019 DAC 49), le Louxor (délibération 2019 DAC 631) et, avec Cheikha Remitti (délibération 2019 DU 134), la grande voix du raï dont il devait préciser qu’il s’agissait d’« une musique née à Oran, ville natale d’Yves Saint Laurent ».

On ne sait ce que venait faire la rime entre Oran et Saint Laurent dans le beau message de l’adjoint à la Culture d’Anne Hidalgo qui, après donc le LMP et le Louxor, rassembla tous les lieux culturels du cru pour saluer en son homologue Carine Rolland « l’exceptionnelle dynamique de ce quartier » et remercier l’adjointe du 18e à la Culture, récemment rapporteure de la délibération consistant à colorier les rues de la Goutte d’Or et de la Chapelle (ici pour mémoire), non sans se souvenir au passage du Centre Barbara « que nous avons créé lorsque j’étais l’adjoint de Bertrand Delanoë » et la Bibliothèque Goutte d’Or qui sont autant de « marqueurs forts d’une politique culturelle nécessaire et naturelle dans ce quartier populaire ».

Et Christophe Girard d’espérer un vote unanime pour attribuer le nom de Cheikha Remitti à « une emprise entre les rues de la Goutte d’Or et Polençon », comme devait lui faire dire un texte lu avec application (voir la vidéo de 00:29:00 à 00:39:00).

Antoine-Rémy Polonceau (1778-1847) et Camille Polonceau (1813-1859). Sources Wikipédia.

Les lecteurs du blog savent que les Polonceau sont deux (Antoine-Rémy le père et Camille le fils) et que la rue Polonceau les honore tous les deux. S’ils devaient penser que, dans son itinérance culturelle à la Goutte d’Or, Christophe Girard avait oublié d’évoquer l’ancienne rue Boris Vian, éphémère rue Anne Hidalgo en mai 2018, nous devrions leur dire qu’il n’en est rien. Destinataire en effet depuis le 31 octobre 2019, comme plusieurs de ses collègues, des Notes et esquisses de l’Atelier urbain de la Goutte d’Or en vue d’une étude alternative au projet officiel de requalification du secteur Boris Vian/Polonceau/Goutte d’Or, l’adjoint d’Anne Hidalgo à la Culture a répondu le 14 novembre 2019 :

  • « Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à votre quartier et je suis moi-même très attentif à la situation que vous abordez. La Mairie du 18e mène actuellement une concertation sur le projet de requalification du secteur Boris Vian qui permettra d’affiner la réflexion sur ce sujet ».

Dont acte : selon l’homme dont on dit qu’il sera en bonne place sur la liste d’Éric Lejoindre aux (très) prochaines élections municipales, la Mairie du 18e mènerait donc encore, à la date du 14 novembre 2019, une concertation qui permettra d’affiner la réflexion sur le secteur Polonceau. Les propos de Michel Neyreneuf au Conseil d’arrondissement du 4 novembre 2019 étaient donc fictifs, destinés uniquement à endormir ses collègues. En attendant la vidéo officielle du conseil, nos lecteurs peuvent réentendre ces propos via l’enregistrement en provenance de la salle que nous avons diffusé le 11 novembre (notre billet, la vidéo).

Éric Lejoindre :
« Remettez-nous ça ! »

Cheikha Remitti (1923-2006). Sources Wikipédia.

Tout à la joie de voir cette malheureuse place Polonceau enfin nommée autrement que ne l’avaient fait les habitants du quartier en invitant les autorités préfectorales et municipales à venir y recevoir les pétitions du 27 mars 2018, le maire du 18e a rappelé à ses collègues du Conseil municipal que le nom de scène de Cheikha Remitti lui venait d’une l’expression bien connue des comptoirs :

  • « Remitti, ça veut dire ‘remettez’ », expliqua Éric Lejoindre. « C’est ce que disaient les gens dans les cafés de la Goutte d’Or en commandant une nouvelle tournée : ‘Remettez ! remettez ! remettez ! est devenu Remitti et c’est donc toute l’histoire de la Goutte d’Or qu’elle traduit et que son nom va traduire sur cette placette ».

Si Fadila Mehal, rapporteure de la délibération, et Christophe Girard, rapporteur de la deuxième Commission, ont préféré se souvenir de son rôle d’« ambassadrice internationale du raï » et de son « concert extraordinaire de 1994 à l’Institut du monde arabe », l’anecdote rapportée par Éric Lejoindre, au demeurant corroborée par le texte même de la délibération (« Son nom d’artiste proviendrait de l’expression ‘remettez’ employée pour offrir un verre », retient en effet l’exposé des motifs), nous rappelle aussi le célèbre Remettez de Boileau (dont le nom rappelle qu’il s’y connaissait en tournée générale) et que le maire du 18e cita à l’envers devant le Conseil d’arrondissement du 22 mai 2018 : de « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », Éric Lejoindre retint en effet dans un joli lapsus, déjà provoqué par le secteur Polonceau, qu’il convenait de « remettre le métier sur l’ouvrage » :

  • « Oui, nous nous sommes engagés à retravailler sur la rue de la Goutte d’Or, sur les arcades de la Goutte d’Or, sur la placette Polonceau, et sur le passage Boris Vian », devait-il déclarer. « Parce que c’est comme ça, et parce qu’il faut parfois remettre le métier sur l’ouvrage et régler le problème »  (notre billet du 13 juin 2018 et minute 5:05 de la vidéo du Conseil d’arrondissement).

Les intruses en concurrence

Dans son mot de bienvenue à Cheikha Remitti, le maire du 18e n’a pas manqué de saluer la « Marche exploratoire des femmes pour changer la Goutte d’Or » organisée en 2016 par l’équipe de Développement local en partenariat avec le Service Égalité Inclusion Intégration, l’association Paris Macadam et le collectif À places Égales, dont on peut voir une vidéo ici. Ce serait en effet « suite à un travail que nous avons fait, plusieurs années durant, avec un groupe de femmes de la Goutte d’Or qui souhaitaient que nous puissions travailler à la présence de noms féminins sur l’espace public » que la place Polonceau porte désormais le nom de Cheikha Remitti.

On ignore si la présence de noms féminins sur l’espace public suffira à encourager la présence de personnes féminines sur cet espace qui, entre la Goutte d’Or et la Chapelle, reste encore très masculin. C’était déjà le projet des « Intruses », installation en cours sous le métro aérien entre Barbès et La Chapelle, que de signaler par des photos de femmes en situation leur absence dans la vraie rue, – absence qui dure et perdure pendant l’installation. Et la malheureuse palissade de bois qui, dans un récent naguère, devait cacher les colonades de la rue de la Goutte d’Or avait le même objectif :

Lire sur le site de la Maire de Paris et notre brève du 26 mars 2018 – Tiré à part n° 2.

En tous les cas, nous signalons ici le courrier du 7 novembre dernier par lequel la directrice de Paris Macadam, l’une des associations  porteuses des marches exploratoires signataire du Manifeste de L’Atelier urbain de la Goutte d’Or informe ce dernier qu’il convenait de « nommer la place Polonceau ‘place Marie Marvingt’, promesse faite par le maire en restitution des marches exploratoires des femmes, conduites par Paris Macadam ». Et Gertrude Dodart de conduire ses interlocuteurs sur le lien du site de la Mairie de Paris dédié à la marche exploratoire.

Cheikha Remitti ou Marie Marvingt (dont nous entretenait déjà l’artiste de la palissade) ? La chanteuse ou la pilote ? Entretemps, la Commission de dénomination des voies, places, espaces verts et équipements publics municipaux, qui s’est réunie le 15 avril 2019, aura donné un avis favorable sur le projet Cheikha Remitti, omettant apparemment d’en informer Paris Macadam, dont le message et le lien transmis offrent néanmoins un beau retour sur image. La marche de 2016 et sa restitution en présence d’Éric Lejoindre donne au maire du 18e arrondissement de Paris l’occasion de revendiquer la paternité de l’en même temps que semble lui avoir volé le président de la République. Nous sommes en 2016 en effet, en l’an moins un de l’ère Macron, et à la question de savoir s’il est possible de faire occuper par un commerce légal (en l’occurrence une terrasse de restaurant) un espace public occupé illicitement par les dealers, le maire du 18e répond :

  • « Juridiquement, c’est un peu compliqué mais, en même temps, disons que c’est sûrement possible. Ça s’étudie » (minute 07:35 de la vidéo).

On s’disait aussi.

*

Sur les sujets géographiquement très proches qui nous occupent :

  • Rénovation de la Goutte d’Or : Le commissaire enquêteur et les habitants une nouvelle fois ‘mis au rancart’ ?
  • Le Conseil de Paris au secours du Conseil du 18e arrondissement ? – Au moment où nous postions ce billet, nous n’avions pas eu connaissance des résultats du vœu qui devait être présenté au dernier Conseil de Paris par le Groupe 100% Paris concernant la requalification urbaine du secteur. Nous savions en revanche que, « suite à une erreur administrative », le vœu du Groupe EELV sur le même sujet, approuvé par le Conseil d’arrondissement du 4 novembre 2019, ne serait pas présenté au conseil de novembre mais le serait « à celui de décembre ». La question sera donc à nouveau débattue en hauts lieux, – quand bien même, en allant de l’avant avec un projet non concerté, la Ville de Paris, la Mairie du 18e et la SPL Pariseine s’écartent de concert du vœu des Verts qui a été approuvé au Conseil d’arrondissement du 4 novembre et est appelé à l’être encore au Conseil de Paris de décembre prochain.

À paraître cette semaine :

  • Les dommages collatéraux de l’opération Polonceau – Notre enquête se poursuit sur une délibération étrangement absente des radars et des écrans du dernier Conseil de Paris, portant sur une (nouvelle) indemnité de départ anticipé d’un des espaces commerciaux sous le TEP Polonceau.
  • Les commentaires et propositions de la Goutte verte suite aux Notes et esquisses de L’Atelier urbain de la Goutte d’Or en vue d’une étude alternative au projet de requalification du secteur Boris Vian/Polonceau/Goutte d’Or (ici pour mémoire).
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